Je suis las de combattre. Ô ma belle, sans cesse nos cuirasses s'entrechoquent. Amants en armure, que valent nos coeurs dans cette nuit d'étincelles métalliques ? Vois mon aimée : ma peau est nue, mon bouclier à terre, relève ton heaume, prends ton épée. Achève-moi.
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Tous les jeudis, je donne des cours à l'Université Paris-Dauphine, non par goût de transmettre ce qu'il serait prétentieux d'appeler un savoir, tant il est inutile et destructeur de vies, mais simplement parce que :
1) c'est un vernis utile pour les affaires que d'être chargé d'enseignement en Master, 2) cela me permet de coucher assez aisément avec des étudiantes, ce qui, sans présenter le moindre intérêt intellectuel ou sentimental, n'en demeure pas moins vivifiant. Depuis quelques semaines, moyennant une augmentation de deux points de sa moyenne générale, je voyais Héloïse : jolie aristo du 16ème, faussement bohème, qui arborait constamment des cernes gris-bruns. Notez que si, de manière générale, les cernes altèrent la beauté des femmes en les marquant du sceau indélébile de la vieillesse, s'agissant d'Héloïse, ils avaient plutôt tendance à rehausser son charme. Hier soir donc, cependant que nous dînions dans mon sempiternel restaurant italien qui, à moins de 30€ par tête, me permet d'économiser 540€ d'escort girl, je continuais de m'interroger sur l'origine de ses cernes. Riche étudiante, peu douée et peu travailleuse de surcroît, ce ne pouvait être la fatigue d'un emploi alimentaire, les études ou la charge d'une famille qui creusaient ainsi ses yeux. Après avoir envisagé de nombreuses hypothèses, je me risquai à lui demander: — Tu as l'air un peu fatiguée. Ça ne va pas ? — Si si, ça va, j'ai juste passé la nuit à downloader des photos sur mon compte Instagram, hi hi ! — Je vois... Garçon, vous me remettrez la même bouteille de Chianti s'il vous plaît. « Les lois sont sans vigueur, le gouvernement reconnaît son impuissance pour les faire exécuter; les crimes les plus infâmes se multiplient de toutes parts; le démon révolutionnaire relève fièrement la tête; la Constitution n'est qu'une toile d'araignée, et le pouvoir se permet d'horribles attentats. Le mariage n'est qu'une prostitution légale ; il n'y a plus d'autorité paternelle, plus d'effroi pour le crime, plus d'asile pour l'indigence. Le hideux suicide dénonce au gouvernement le désespoir des malheureux qui l'accusent. Le peuple se démoralise de la manière la plus effrayante; et l'abolition du culte, jointe à l'absence totale d'éducation publique, prépare à la France une génération dont l'idée seule fait frissonner. »
Joseph de Maistre. Considérations sur la France. 1796. Lorsque j’ai un rendez-vous à la Défense, je me réveille de bonne heure et, afin d’éviter l’immonde traversée de Neuilly, entreprends depuis la porte Dauphine un détour par le Bois de Boulogne. Les matins d’hiver, on peut apercevoir les canards qui dorment dans la brume des lacs. Par-delà les arbres, derrière Puteaux, les tours du CAC défient le ciel. La Fondation Louis Vuitton s’élève sur la droite tel un coquillage éclaté, un nuage urbain, une caravelle futuriste. A ce moment, il m’arrive de trouver quelque beauté au monde et de vouloir vivre encore. Puis je prends la direction du Tir aux pigeons et retrouve Katia. Katia est une des seules prostituées du Bois qui soit authentiquement femme. Elle est ukrainienne russophone et travaillait auparavant en Allemagne, dans une usine de composants électroniques. Je prends un peu de ses nouvelles, on parle de Poutine, de l’annexion de la Crimée, puis je sors mes bandes dessinées — de temps en temps un manga érotique, le plus souvent un vieux Manara. Pendant que je lis, Katia prodigue sa gâterie. La première fois, je n’avais évidemment pas apporté de BD. Le va-et-vient de son balayage raté (racines noires et mèches trop blondes) ne m’excitant guère, j’avais mis beaucoup de temps à jouir malgré le supplément de 30€ qui donnait droit à la même prestation, mais sans préservatif. Cette lenteur à venir m’avait mis mal à l’aise car je rémunère Katia au forfait et non au temps passé. Depuis, cette petite astuce de lecture me permet de replonger dans mes fantasmes adolescents tout en réduisant le temps de travail de Katia. Du gagnant-gagnant, comme dirait Ségolène Royal. Là, assis à l’arrière, à l’abri des vitres teintées, j’oublie Katia, j’oublie le Bois, j’oublie la finance et m’évade le long des courbes du Déclic.
La paix retrouvée, nous échangeons quelques amabilités de circonstances, je lui souhaite bon courage, elle me souhaite la même chose et nous nous quittons, après avoir pris une tasse de café de son thermos. Les canards se sont réveillés. Mon iPhone aussi. PowerPoint et tableurs Excel arrivent au gré des marées noires que déversent les premiers emails matinaux. Je rejoins les tours de verre. Les joggers arrivent. Quelques foulques macroule nagent dans les herbes. Un homme prépare les barques à touristes. Parfois, de grands cygnes immaculés fendent l’air comme des avions de rêves. |
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Octobre 2016
AuthorThéophane Dumartray Categories |