Maître Velter est le genre d’avocaillon crâne d’œuf dont on regrette qu’il soit sorti du nid. L’ensemble de la vie de Velter tourne autour de la promotion de Velter. L’étude des pièces l’ennuie, le Droit ne l’intéresse pas, la Défense lui importe peu, Velter n’aime qu’une chose : qu’on le regarde.
Pour compenser ses lacunes intellectuelles, Velter était membre de toutes les associations de la faculté. Les autres étudiaient, lui tissait déjà sa toile, de petits fils collants et moites comme ses mains qui attendaient déjà proies et pantins. Même devant un aréopage réduit, le seul fait d’avoir un micro en main et quelques yeux myopes tournés vers lui le comblait de joie. Velter n’aime pas être réduit à un avocat corporate. Il s’est rendu une fois à la brigade financière et a accompagné son beau-frère ivre au commissariat de la Trinité-sur-mer, aussi se considère-t-il également comme pénaliste. Il ne rate d’ailleurs jamais une occasion de mentionner qu’il connaît la juge d’instruction unetelle, le procureur untel. Nous travaillons souvent avec lui. C’est un cousin de Grouvion — unique raison justifiant que nous avalions encore ses honoraires. Le manque total de finesse, d’éducation et de culture de Velter se révèle un peu plus à chacune de nos réunions et j’en viens désormais à penser que son incurie est aussi grande que son égo. Bien qu’étant notre conseil, je rêve en silence du jour où Velter se plantera. Non seulement j’y rêve mais j’y travaille : primo, ce ne sera pas la première fois que je joue contre mon camp, secundo, je serai prêt à perdre beaucoup beaucoup d’argent pour que le monde comprenne enfin, malgré l’article élogieux que lui a consacré Le Point, que Velter est une merde. Velter est encore là ce matin. Jean-Louis refait la même blague : « comment va mon guacamole (la crème des avocats) préféré? ». Puisque l’ambiance est mexicaine, je les étoufferai bien tous deux dans un sachet de tortillas, avec quelques piments en bouche. Velter est venu avec sa jeune collaboratrice. Seule preuve tangible d’intelligence chez cette crapule, il a su s’entourer de collaborateurs compétents qui n’apparaissent jamais dans les dossiers et laissent croire qu’il est lui-même doué. Je l’ai déjà vue plusieurs fois. Marie je crois, ou Cécile. Elle ne dit jamais un mot. Elle n’a pas le droit. Elle n’envoie pas d’emails de sa propre boîte. Tout part et revient à Velter. C’est une sorte d’esclave et Velter est son maître. Sortant tous les jours à 2 heures du matin, elle ne doit pas avoir de mec. Peut-être un chat. Oui, j'imagine une vie régulée par la Semaine Juridique, quelques dates Tinder, un numéro de livraison de sushi, et un chat. Le Maître doit parfois la sauter, en tout cas les veilles de bonus. Elle est jolie pourtant, fatiguée mais jolie. C’est toujours un peu triste une fille brillante et jolie qui rate sa vie. De l’autre côté de la table Velter sort son Mont-Blanc, son iPad, et son dossier. Il est heureux, il va encore nous piquer 40.000€ donc il est heureux. Le téléphone est là. La pieuvre plutôt. L’horrible machine à conf-call. Il y a beaucoup de fils : jack, ethernet, internet, téléphone. Ce n’est pas très gentil de penser cela au sortir du week-end pascal mais j’ai comme une furieuse envie de passer tous ces fils autour du cou de Velter et de serrer bien fort. Velter parle, ronronne. Il persifle et savoure ses propres mots. Je le connais par cœur. Je connais sa voix nasillarde, son haleine amère aux relents de Marlboro, de café et de salade césar. Je connais sa lèvre supérieure, trop fine, sa lèvre inférieure, charnue et baveuse. Je connais son front luisant, chacune de ses rides. Son nez constellé de points noirs est mon ciel de ténèbres.
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Octobre 2016
AuthorThéophane Dumartray Categories |