L' Alcoolique Mondain
  • Journal érotico-cynique de Théophane Dumartray
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Mlle Rosenberg, ma psy

23/6/2015

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J’ai vu une psy pour la première fois à l’âge de treize ou quatorze ans. Faisant montre d’un comportement étrange à l’école, mes parents tenaient à savoir si j’étais surdoué ou sous-doué, avec un léger espoir pour la première branche de l’alternative. On m’a décelé de minimes troubles comportementaux : je serais mi-narcissique, mi-autiste, un peu érotomane aussi, avec des tendances maniacodépressives et schizophréniques. Ces symptômes étant toutefois relativement légers chez moi, l’on peut dire que je suis normal — c’est à dire, aussi fou que les autres.

J’ai gardé l’habitude des consultations : psychothérapeute lorsque j’étais au lycée, psychiatre lorsque j’étais étudiant (seule la prescription de psychotropes me permettait de supporter les soirées d’école de commerce), psychologue aujourd’hui. Je n’ai pas encore donné du côté de la psychanalyse. Je garde ce plaisir pour mes vieux jours car, bien que totalement inefficace, c’est une discipline bien plus chronophage et onéreuse que mes actuels soins homéopathiques.

J’aime beaucoup Mlle Rosenberg : cela me permet, une fois toutes les deux semaines, de dire des atrocités et me plaindre sans être coupé. Elle me suit depuis plus d’un an mais je ne progresse pas. Pire, elle affirme souvent que je n’ai rien et que nos séances doivent cesser. Pour la démentir, j’invente des rêves horribles avec des fourmis qui sortent de la bouche de mon grand-père et un dogue allemand qui encule Jack Lang... Elle rigole mais ne me croit pas. Je hurle alors « je vais mal docteur, je vais très mal ! », elle répond invariablement qu’elle n’est pas docteur, je fais alors le chien autour de son bureau en criant ouaf ouaf, elle me précise qu’elle n’est pas non plus vétérinaire, je m’indigne : « véto ou pas, ce n’est vraiment pas très chrétien de laisser un mourant sur le bord de la route », elle répond que 1) je ne suis pas mourant et 2) qu’elle est Juive. « Ah, c’est donc pour ça, craché-je, vous n’aidez que les circoncis… pour continuer de dominer le monde en laissant les goys dans leur merde ! ». Elle me traite alors d’antisémite. Il n’y a rien à faire, elle ne veut pas me soigner.

C’est indécent d’avoir des honoraires aussi élevés sans posséder de doctorat mais, quel qu’en soit le prix, je reviendrai. Comment pourrais-je en effet me passer de Mlle Rosenberg ? Rousse à la peau diaphane. Le genre de femmes qui devient bisexuelle après trois cognacs et s’endort avec les auteurs classiques.

Mille fois, je lui ai fait des avances. Je lui dis que je pense souvent à elle, que nous pourrions être heureux ensemble, que nous passerions des dîners exquis, des soirées formidables, et que, dans les moments de doute, nous nous soignerions mutuellement. Elle répond qu’elle n’a pas besoin d’être soignée et que moi non plus d’ailleurs. Je lui dis que tout ce que je lui ai raconté (mes frasques, mon addiction au sexe, mon sadisme professionnel, ma stagiaire, mes putes, mon alcoolisme, mon cynisme), que tout cela cesserait dans la seconde où nos vies s’entremêleront. Je lui dis que je l’aime, et veux l’aimer plus encore, je lui dis que j’en ai assez de courir, que je veux me poser, être en couple, fonder une famille… Je lui dis qu’elle n’a pas le choix ! Que je vais me tuer ! Que seuls ses yeux verts me maintiennent en vie !

Elle n’en a strictement rien à faire.

La situation est donc relativement simple : ou bien, Mlle Rosenberg est follement amoureuse de moi, ou bien, je lui suis totalement indifférent.  

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Coulons l’Hermione (mais fouettons Elizabeth d’abord) !

29/5/2015

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Lorsque je suis las des vernissages et des happy-ending prodigués sans conviction par la «masseuse traditionnelle » thaï de ma rue, il m’arrive de partir louer un peu de soleil. Parfois même un transat à un plagiste détestable.

J’emmenai Elizabeth trois jours aux Canaries. Pourquoi Elizabeth ? Mon étudiante Dauphinoise m’aurait ennuyé avant que l’avion n’ait atterri ; Elodie (ma stagiaire) semblait exclusivement conçue pour les photocopieuses et les hôtels parisiens ; les autres ne voulaient plus me voir ; il ne restait qu’elle.

Il fut un temps où Elizabeth m’aimait. J’avais moi-même été au bord de ce sentiment, mais l’avais longé sans perdre pied. Elle m’en avait voulu de l’avoir ainsi laissé choir en solitaire. Et puis, quoique meurtrie, nous nous étions réconciliés car j’étais le seul homme susceptible de l’emmener en vacances.

Après s’être baladés au milieu des vipérines à fleurs roses, des plantes de rocaille et des arbustes aux feuilles bleu-vert, nous étalâmes nos draps de lin sur une plage et nous y ennuyâmes deux heures.

Certains ont vu dans les Canaries les Champs Élysées, le jardin des Hespérides ou l'Atlantide de Platon, je ne voyais que de vieux Allemands barbotant.

--   Jean de Béthencourt, originaire de Dieppe, devint roi des Canaries, lançai-je à Elizabeth.

--   Un parcours à la Kate Middleton, répondit-elle.

N’ayant rien d’autre à se dire, on rentra à l’hôtel faire l’amour.

La fenêtre apportait des odeurs de fleurs exotiques (mais peut-être était-ce seulement le Tahiti-douche renversé dans la baignoire).

Je m’installai fumer au balcon. En bas, on apercevait un petit buisson aux fleurs blanches, un argyranthemum frutescens, la fameuse marguerite de Paris originaire des Canaries, et quelques cactus étranges comme on en voit chez les pépiniéristes du Châtelet.

Soudain, le passé surgit des palmiers : une mature immense comme des rêves d’enfant apparut dans la baie. Des canons saluèrent l’Hermione. La réplique de la frégate de La Fayette arrivait de Rochefort et faisait vraisemblablement escale aux Canaries avant de traverser l’Atlantique. Nous n’étions plus en 1780, nul besoin de convaincre Louis XVI d’aider les troupes de Washington, nul besoin de rallier Boston à la voile, l’Amérique était indépendante. Pourtant la frégate repartait, peut-être parce que la liberté acquise n’est qu’une autre forme d’asservissement et qu’il faut sans cesse se libérer.

J’avais trop bu, comme toujours. Une ombre m’envahit.

--   Qu’est ce qu’il y a ? s’inquiéta Elizabeth.

--   Rien. L’Hermione me fait penser qu’il n’y a pas si longtemps les arbres enfantaient des bateaux.

--   Hum hum…

--   Ils avançaient avec le vent. On voyageait à cheval aussi. Je ne sais lequel des deux est le plus triste.

--   Qu’est ce que tu racontes ?

--   Qu’il est des choses passées dont on ne se remet pas : les lignes d’une carène, l’élégance d’une dunette, et ces voiles qu’on affale dans le couchant. C’est insupportable de voir ça aujourd’hui ! Comme si ça n’allait pas assez mal.

--   Je ne te suis pas.

--   Ce soir, je mettrai le feu à l’Hermione !

--   Tu dis n’importe quoi. Viens, recouche-toi, prends-moi fort.

Alors, puisqu’elle n’aimait l’amour qu’ainsi je la pris violemment. En effet, malgré son apparence bourgeoise et calme, Elizabeth voulait toujours plus de morsures, de griffures, de sueur et de cris, comme si les caresses préliminaires n’étaient que le cadre doré d’une bataille sanguinaire. Demeurée seule trop longtemps, un bélier défonçant ses entrailles la rassurait, et elle voulait constamment sentir la domination mâle. Comme d’autres, elle ne jouissait que dans la violence et cette considération me donna encore davantage envie de pleurer que la vue de l’Hermione.

Enfin, pensai-je, puisque seul le désir de soumission l’anime, alors soit ! Ce soir, après que l’équipage lui sera passé dessus, je l’attacherai au grand mat, la fouetterai encore un peu, car elle ne comprend que ça, et après seulement je coulerai l’Hermione ! 

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Conversation avec le docteur Bougron, mon urologue préféré

19/4/2015

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Rien de pire que de commencer la semaine avec le zgeg en flammes. Heureusement, je ne connais pas de médecin plus sympathique que le Dr Bougron.

— Encore vous, Dumartray ?!
— J’ai plaisir à vous enrichir tout en m’abreuvant de votre science, docteur !
— Qu’est ce que vous avez encore ?
— La bite en feu, as usual…
— C’est à dire ?
— Comme l’impression de pisser des lames de rasoir.
— Encore des champis ou une MST… pfff, c’est la troisième fois cette année, vous traînez votre pénis dans les caniveaux ou quoi ?
— Ce n'est guère galant de parler ainsi de mes amies.
— Je ne plaisante pas. Vous êtes totalement inconscient, vis-à-vis de vous même, et vis-à-vis des autres surtout.
— C’est vrai. Mais si l'on me reproche souvent d’être égoïste, s’agissant de la chtouille, c’est du donnant-donnant, ça ne tombe pas du Ciel, docteur.
— Je ne vous le fais pas dire.
— C’est quand-même pas de ma faute si…
— Si c’est de votre faute ! Vous me fatiguez. Un jour, vous allez choper le SIDA, et vous ferez moins le malin.
— Ils sont sur le point de trouver un vaccin.
— Ce n'est pas fait, mon vieux.
— Ne me dîtes pas ça. Les derniers jours ont été éprouvants.
— Ils le seront encore plus quand vous l'aurez.
— Je croyais qu'on vivait presque normalement sous tri-thérapie. 
— Presque normalement ?  Vous risquez d'être déçu. Et puis, soit dit en passant, la trithérapie, c’est la solidarité nationale qui la paye, et nous ne sommes pas là pour financer votre débauche. 
— Ne vous inquiétez pas, avec ce que je paye comme impôts, ça reste moi le plus solidaire !
— Bon, puisque vous êtes né sans cerveau, tentons de sauver le reste.
— Merci.
— Baissez votre caleçon, je vais vous passer un coton dans l’urètre pour voir ce que vous nous avez encore rapporté de la chasse.
— Doucement docteur, ça fait mal ! 
— Faut bien expier, mon vieux. 
— Hey ! arrêtez, ça fait vraiment mal !
— Une seconde.
— Je crois que je vais pleurer. 
— Faites-donc.
— Putain, j’ai mal… 
— Chochotte.
— Aïe, aïe, aïe ! Stop ! Je vous en prie. 
— Taisez-vous. J'en ai pour une seconde. 
— Elle est déjà passée. Vous auriez dû faire charcutier !
— Molo jeune homme…. ou je vous laisse crever avec votre chaude pisse.
— Non docteur, sauvez-moi !

La torture passée, nous regagnâmes son bureau et le Dr Bougron reprit : 

— Franchement, vous êtes beau garçon, vous semblez avoir une belle situation…
— Auriez-vous l'amabilité de consigner cela par écrit et l’envoyer à ma mère ? ça lui ferait tellement plaisir.
— Arrêtez avec votre ironie. Ce que je veux vous dire c’est que vous pourriez tout de même trouver une femme jolie, intelligente, sympa, et arrêter de traîner votre oiseau dans toutes les mycoses de Paris.  
— C’est une idée intéressante. 
— Au moins, mettez une capote… merde à la fin !
— Je ne sens rien avec un ciré. 
— Forcément : à force de limer tous les soirs, vous avez la peau du gland aussi insensible que le cœur.
— C’est joli ce que vous dîtes. Méchant mais joli.
— Bon allez, les résultats complets dans deux jours et, en attendant, la prescription habituelle.
— Merci docteur.
— C’est les labos qui doivent être contents avec un type comme vous.
— Je fais de mon mieux pour relancer l’économie. 
— Ça fera 70 euros. 
— Vous prenez l’AmEx ?
— Et puis quoi encore ! Vous vous croyez au Carlton ? Carte bleue, liquide, ou chèque.
— 70 euros le brin de causette. Il n'y a pas que les labos... vous aussi vous devez être content !
— Vous êtes une ordure.
— Seulement mon chibre, mon père, mon âme est pure comme la cramouille d'une fillette. 
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Maître Velter, notre avocat

7/4/2015

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Maître Velter est le genre d’avocaillon crâne d’œuf dont on regrette qu’il soit sorti du nid. L’ensemble de la vie de Velter tourne autour de la promotion de Velter. L’étude des pièces l’ennuie, le Droit ne l’intéresse pas, la Défense lui importe peu, Velter n’aime qu’une chose : qu’on le regarde.

Pour compenser ses lacunes intellectuelles, Velter était membre de toutes les associations de la faculté. Les autres étudiaient, lui tissait déjà sa toile, de petits fils collants et moites comme ses mains qui attendaient déjà proies et pantins. Même devant un aréopage réduit, le seul fait d’avoir un micro en main et quelques yeux myopes tournés vers lui le comblait de joie.

Velter n’aime pas être réduit à un avocat corporate. Il s’est rendu une fois à la brigade financière et a accompagné son beau-frère ivre au commissariat de la Trinité-sur-mer, aussi se considère-t-il également comme pénaliste. Il ne rate d’ailleurs jamais une occasion de mentionner qu’il connaît la juge d’instruction unetelle, le procureur untel.

Nous travaillons souvent avec lui. C’est un cousin de Grouvion — unique raison justifiant que nous avalions encore ses honoraires.

Le manque total de finesse, d’éducation et de culture de Velter se révèle un peu plus à chacune de nos réunions et j’en viens désormais à penser que son incurie est aussi grande que son égo. Bien qu’étant notre conseil, je rêve en silence du jour où Velter se plantera. Non seulement j’y rêve mais j’y travaille : primo, ce ne sera pas la première fois que je joue contre mon camp, secundo, je serai prêt à perdre beaucoup beaucoup d’argent pour que le monde comprenne enfin, malgré l’article élogieux que lui a consacré Le Point, que Velter est une merde.

Velter est encore là ce matin. Jean-Louis refait la même blague : « comment va mon guacamole (la crème des avocats) préféré? ». Puisque l’ambiance est mexicaine, je les étoufferai bien tous deux dans un sachet de tortillas, avec quelques piments en bouche.

Velter est venu avec sa jeune collaboratrice. Seule preuve tangible d’intelligence chez cette crapule, il a su s’entourer de collaborateurs compétents qui n’apparaissent jamais dans les dossiers et laissent croire qu’il est lui-même doué. Je l’ai déjà vue plusieurs fois. Marie je crois, ou Cécile. Elle ne dit jamais un mot. Elle n’a pas le droit. Elle n’envoie pas d’emails de sa propre boîte. Tout part et revient à Velter. C’est une sorte d’esclave et Velter est son maître. 

Sortant tous les jours à 2 heures du matin, elle ne doit pas avoir de mec. Peut-être un chat. Oui, j'imagine une vie régulée par la Semaine Juridique, quelques dates Tinder, un numéro de livraison de sushi, et un chat. Le Maître doit parfois la sauter, en tout cas les veilles de bonus. Elle est jolie pourtant, fatiguée mais jolie. C’est toujours un peu triste une fille brillante et jolie qui rate sa vie.

De l’autre côté de la table Velter sort son Mont-Blanc, son iPad, et son dossier. Il est heureux, il va encore nous piquer 40.000€ donc il est heureux. Le téléphone est là. La pieuvre plutôt. L’horrible machine à conf-call. Il y a beaucoup de fils : jack, ethernet, internet, téléphone. Ce n’est pas très gentil de penser cela au sortir du week-end pascal mais j’ai comme une furieuse envie de passer tous ces fils autour du cou de Velter et de serrer bien fort.  

Velter parle, ronronne. Il persifle et savoure ses propres mots. Je le connais par cœur. Je connais sa voix nasillarde, son haleine amère aux relents de Marlboro, de café et de salade césar. Je connais sa lèvre supérieure, trop fine, sa lèvre inférieure, charnue et baveuse. Je connais son front luisant, chacune de ses rides. Son nez constellé de points noirs est mon ciel de ténèbres.

 

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il est six heures

30/3/2015

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Je rentre, il est six heures, sept heures peut-être. Tentant de prendre mon ordinateur sur la table basse, je glisse, m’effondre. A quoi bon se relever.

Le soleil se lève. Je devrais vomir. La gueule collée au parquet, j’examine les plaintes, les rainures. Derrière l'apparence lisse, la peinture écaillée,  les imperfections, les fissures, les couches anciennes qu’on a voulu masquer. Microfailles du confort. Le soleil passe la fenêtre. Sa lumière froide se répand sur le parquet à mesure que la rue livre ses premiers bruits.

J’attrape mon Mac, ouvre Facebook, le livre du bonheur des autres, l’image construite du sien. Partout la fête, les plages, le ski, les mêmes blagues, les mêmes sourires.

J’observe son profil, je le fais presque tous les jours. Les félicitations pleuvent. Elle est là, les yeux fatigués, rayonnante et sereine pourtant. Ses parents l’entourent. Sa mère a l’air fière. Encore allongée, elle tient le nouveau né dans ses bras. Il dort. Le bout de chair rabougri semble déjà l’aimer. Son mari est là aussi. Lui aussi l’aime. Je la regarde encore, repense à l’odeur de ses cheveux, à ses mains, à ces matins de paresse, à cette vie qui aurait pu être la mienne.
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Salon du livre 

26/3/2015

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Lorsque j’ai envie de détester davantage l’humanité, je vais au Salon du livre écouter les auteurs vedettes répandre leur diarrhée verbeuse sur un public ravi.

La sauterie littéraire se tient porte de Versailles, c’est à dire à l’endroit le plus moche de Paris pour être bien certain que le public considère, pour de bon, la lecture comme une activité périphérique et ringarde, et cesse définitivement de lire.

Le Salon du livre est bien moins divertissant que le Salon de l’agriculture, mais les truies sont plus jolies. Les intellectuels baladent leurs écharpes en cashmere et leurs miasmes de fin d’hiver, les étudiants en lettres leur paresse et leur incurie. Les attachées de presse rayonnent. Les éditeurs tentent d’avoir l’air heureux. De vieilles habituées jouent des coudes pour obtenir des dédicaces. Leurs petits enfants s’ennuient car, contrairement à la FNAC, on ne peut feuilleter les BD sans les acheter.

La soirée d’ouverture n’a aucun intérêt si ce n’est le champagne offert. J’en bois toujours le plus possible et, quand il n’y en a plus, je passe au vin rouge. Je traîne alors mon élégance hautaine dans les allées. L’alcool triste, je regrette le départ des vaches et des poules et achète des livres que je ne lirai jamais.

A l’allée H, je tombe sur les éditions Intervalles, une petite maison qui publie de bonnes choses passant souvent inaperçues, faute de moyens pour lutter contre les grands groupes. Mikaël Hirsch est là. "Avec les hommes" était excellent. La critique l'apprécie mais le grand public le connaît peu. Il parle de sa vie organisée autour de l'écriture, sirote un verre en attendant le succès.

Derrière le stand, une fille ravie dédicace son premier livre. Rachel Vanier me dit-on. Jolie.

L’ensemble du salon est non-fumeur mais je retrouve un peu plus tard Rachel, clope au bec au rayon jeunesse. Perchée sur ses talons, elle nargue les vigiles en enfumant les enfants.

Nous avançons vers les best-sellers. Derrière les éditions XO, je dérobe une bouteille de Champagne et passe la barre des 2 grammes sans difficulté. Elle me parle de son roman : Hôtel International. A ses côtés, on pense vite à un hôtel.

Elle me décrit ses personnages, évoque le Cambodge, le deuil, mais je ne l’écoute pas. Je me fous que Rachel Vanier soit dans Grazia, je me fous que Beigbeder lui consacre une pleine page dans le FigMag, je me fous même qu’elle soit écrivain. Je suis accroché à ses jambes, à sa fossette, à ses yeux bleus, et j’ai comme une envie de la coucher sur la pile des Marc Levy, lui enfoncer la tête dans les Guillaume Musso et que nos sucs intimes abreuvent pour une fois ces feuilles ineptes !

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Elodie, ma stagiaire

23/3/2015

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Quand j'en ai fini avec Thomas, je vais taquiner Elodie, la jeune stagiaire bordelaise. Elodie est la fille d'une amie de Sophie Grouvion, la femme de Jean-Louis (le managing partner). Sophie n'a aucun rôle ici à part changer la déco tous les deux ans, faire chier les secrétaires et raconter ses vacances à Courchevel. Tout le monde respecte Sophie.

Les parents d'Elodie, tous deux radiologues à Bordeaux, sont relativement fortunés et, jolie comme elle est, un banquier golfeur devrait sous peu l’épouser, l’engrosser et l’entretenir jusqu’à la mort. Elodie n'a pas besoin de coucher pour réussir car Elodie n'a pas besoin de réussir. La carotte du CDI ne pouvant la faire avancer et son ambition étant nulle, je ne savais trop comment lui plaire. 

Je l'ai emmenée à deux cocktails et un vernissage, j'ai étalé ma culture, valorisé mon poste, raconté de faux exploits sportifs, contrebalancé le tout par une modestie parfaite, une timidité de bon aloi, je semblais gêné, mal dans mes pompes. Puis j'ai été drôle, sympathique, galant. Et à nouveau sombre. J'ai froncé les sourcils, regardé dans le vide, comme si je pensais à des choses importantes, alors que j'essayais simplement de me souvenir si j'avais payé la femme de ménage. 

Elodie souriait. Blonde, innocente, bien élevée. J'ai mis du temps à comprendre que faire la cour à Elodie ne servait à rien. Un soir, à la sortie de l'inauguration d'une galerie photo qui exposait des clichés encore plus merdeux que ceux d'Ikéa, elle eut un regard étrange. Je compris alors qu'Elodie ne voulait pas être séduite mais simplement prise. Elodie aime le sexe. Point barre. Elle ne pense pas, ne rêve pas, ne calcule pas, ne joue pas, c'est un petit animal en chaleur, cédant à ses propres instincts, une femme sensuelle, gourmande et égoïste, une jeune fille pour ainsi dire. 


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Thomas, mon cobureau

20/3/2015

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Thomas et moi partageons le même bureau. Hormis les burgers congelés de la brasserie d'en face et les discours de François Hollande, il y a peu de choses au monde que je déteste plus que Thomas.

Professionnellement, il est très dur de lutter contre Thomas car il ne travaille pas pour l'argent mais par plaisir. Thomas n'a aucune vie sociale, à part un WE tous les trois mois avec ses deux uniques amis (qu'il a connus en prépa). Thomas aime me raconter ses aventures : "on est allé en boîte, on était déchiré putain". 

Thomas n'a pas de copine. J'imagine sa chambre avec une belle photo de Plisson sur un mur, une photo de famille sur l'autre et pleins de petits mouchoirs blancs et spermeux parsemant le sol.

Ayant organisé mon travail de façon à ce que la plupart des consultants et stagiaires le fasse à ma place, l'après-midi, à part lire des BD de Manara et la Revue des Deux Mondes aux chiottes, je n'ai souvent rien à faire. Pour m'occuper, je catapulte trombones, bouchons de stylo et autres crottes de nez sur Thomas. Il ne réagit pas mais le sait. Cela fait un an qu'il hésite à dire à Grouvion : "Jean-Louis, il y a Théophane qui me lance ses crottes de nez dans les cheveux" mais il n'ose pas de peur de passer, à juste titre, pour un con et un soumis.
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buisson de nuit

18/3/2015

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Hier, en sortant du bureau, j'ai dîné avec une cliente.
Quelques heures et deux bouteilles de Bourgogne plus tard, je plongeais ma tête dans sa chatte douce et épaisse et, alliant la curiosité de l'historien à la fougue de l'amant, enfonçais toujours plus profondément ma langue dans cette pilosité archaïque. Ô déesse des forêts ! Terre de Sologne humide et boisée ! 
Un buisson de sensualité ardente jeté à la face lisse et sans goût de la modernité. 
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Lean Management

16/3/2015

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Malgré son humeur souvent joviale et son franc-parler, Jean-Louis Grouvion (mon boss) est un parfait enculé. Ingénieur raté, brillant financier, il se veut également pédagogue et a signé (sans les écrire et sans les lire) quelques ouvrages professionnels de référence dans notre milieu.

N’ayant aucun sens du ridicule, il lui arrive de dispenser lui-même ses pseudo-cours dans la grande salle de réunion de Marceau Partners. A 14h30 un lundi, passer du minou d'Elodie (ma stagiaire) à un exposé de Grouvion est assez douloureux.

— « Lean » signifie « dégraissé », commença-t-il avec un micro accroché à la joue, comme Steve Jobs quand il présentait un iPhone. Le lean management consiste à mettre en place une gestion sans gaspillage. Des chercheurs américains du MIT (Massachussets Institute of Technology) ont analysé le TPS (Toyota Production System) et découvert que le système de production mis en place par Toyota dans ses chaines de montage à partir des années 1970 peut être appliqué à tous les secteurs économiques. On sentait qu’il prenait un plaisir immense à utiliser des acronymes anglais comme MIT et TPS. Les deux concepts de base sont le « juste-à-temps » et le « jidoka » (automatisation à visage humain). C’était trop bon, Grouvion banda sec en traduisant le mot japonais et ne pu ramollir son enthousiasme jusqu’à la fin de son intervention. Je bandais aussi, énervé par les effluves animales qu'Elodie avait laissé sur ma moustache. En lean, la valeur ajoutée d’une tâche doit être analysée du point de vue du client. Tout ce qui n’est pas de la valeur ajoutée doit être éliminé (…). Il faut un salarié ultra spécialisé par poste, limiter autant que possible tout déplacement, supprimer les outils mal placés ou inadaptés, chronométrer chacun des gestes nécessaires à l’accomplissement d’un tache et éliminer tout mouvement parasitaire…

Après une heure à s’écouter être génial, Grouvion demanda : 
— Des questions ? 
— Jean-Louis, nota un des EVP (Executive Vice President) avec qui je bossais parfois, tu (tout le monde se tutoyait chez Marceau Partners, cravate mais cool) noteras qu’une étude récente menée par le Ministère du Travail a montré que le lean management engendrait le plus haut taux de risques physiques et psychosociaux. 
— J’ai vu Paul.
— Qu’en penses-tu ?
— C’est du bullshit !
— Oui mais, d’un point de vue strictement économique, Jean-Louis, la perte de productivité que génère la mise en place d’une organisation du travail accidentogène ne conduit-elle pas à remettre le lean management en cause ?
— Ta question est pertinente. Avoir des salariés malades physiquement ou mentalement n’est pas souhaitable, car leur absence et leurs soins (en cas de mutuelle d’entreprise) génèrent également un coût. Et un poste confortable, c’est un salarié plus efficace. Cependant, si nous étions parfaitement cyniques, mais nous ne le sommes pas, je te dirais que, d’un point de vue strictement économique, comme tu dis, avoir une augmentation de 2 ou 3% des maladies professionnelles ne remet pas en cause un modèle qui peut faire gagner 16% de productivité à une entreprise. 
— 16 % ?
— Eh oui mon vieux : 16 % !
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Quand Grouvion eut fini de jouir du tonnerre d’applaudissements serviles de ses associés et employés, on prit un verre. Un mojito sous-dosé nous est toujours offert après chaque cours magistral de Grouvion, séminaire de formation ou journée de teambuilding. Il signifie à tous qu’on sait (aussi) s’amuser, même le lundi.

— Tu as vu ce que j’leur ai mis ? me demanda Grouvion quand nous fûmes dans son bureau. 
— Impressionnant Jean-Louis dis-je en tentant d’aspirer avec ma paille ce qui pouvait rester d’alcool au milieu des glaçons fondus et des feuilles de menthe.
— Ah ils sont bon ces Japonais ! 16% de gains de productivité ! T’as vu Paul ? Il ne moufetait plus ! Tu me retravailleras la présentation pour en faire des slides bien ficelés qu’on shootera aux clients. Avec des gains de productivité comme ça, ils vont venir nous sucer la queue sans qu’on leur demande. Ah putain ces Jap! Pas étonnant qu’ils nous enculent à sec avec des méthodes pareilles. 
— C’est certain, Jean-Louis. A propos de présentation, vous savez qu’on a celle d’Autogreen demain.
— Oui, je sais. Revoyons-là. Avec ce qu’on leur a foutu en honoraires, il ne s’agirait pas de la planter. 
— Je voulais justement que vous validiez les chiffres que je vous ai forwardés. 
— Minute ma pupute, je ne les ai pas.
— Je vous les ai envoyés hier.
— Je reçois deux-cents mails par heure. Attends, je regarde.
— Dimanche vers 18 heures 30. En pièce jointe.
— Ah ça y est je l’ai. Ok, ok, j’ouvre. Qu’est ce que c’est que ce bordel ?
— C’est l’Excel récap. Mais ne vous inquiétez pas il est summarisé dans le PowerPoint de présentation client.
— Ok. J’t’écoute. T’as sept minutes. J’ai un ciné à la con avec ma femme soon. Balance la sauce.
— Je pense qu’on peut écrémer 20% sur les chaînes 12 et 13, 10% à la compta, 7,5% parmi le chauffeurs-livreurs, et 6% dans les services B, D et F. 
— Ça me semble correct. Quid du top management ?
— A la direction financière, je crois que Monsieur Dupeyret est…
— Mais bordel ! Combien de fois devrai-je te le dire ?! Je ne veux plus de nom ! Ni prénom ni nom de famille. Qu’il s’appelle Dupeyret ou Dutroudeballe, je m’en bats les steaks. Arrête de tout humaniser à la fin ! Tu fais perdre du temps à tout le monde. Le client va chier dans son froc à l’idée de licencier. La CGT va le pourrir. Le PS local aussi. Il faut lui simplifier le travail. On ne parle pas de « personne » on parle de « contrat salarié ». Capito ? On ne licencie pas Monsieur Dupeyret (avec une famille et vingt ans d’ancienneté), on supprime le … vas-y montre-moi sa fiche… on supprime le contrat DirFin-C872. 
— Capito.
— Je veux des numéros ! Tu comprends ? Des numéros ! Je sais que cela peut paraitre choquant, mais c’est le seul moyen d’être efficace en matière de ressources humaines. On est des conseils, pas des psys, pas des curés, pas des nounous. On dit juste comment rendre plus productives des organisations salariées. Basta. Ce serait des organisations de robots, de girafes, de voitures ou de bites, ce serait pareil ! 
C’est toi la bite.
— Je comprends, Jean-Louis. 
— C’est comme ça qu’on fonctionne aujourd’hui. Tu n’as rien écouté de mon cours de lean management ou quoi ?
— Si j’ai tout écouté. Et ce n’est pas un cours mais un powerpoint écrit par un consultant à partir de ton nouveau livre qui n'est pas de toi.
— Il faut appréhender la gestion d’un salarié de la même manière qu’une pièce automobile. Et je vais même être franc avec toi : on est en train d’instaurer cette méthode au cabinet. Comme tu le sais, cette petite merde d’Hervé a démissionné au bout de deux mois pour se barrer chez ces connards de McMillard. Comme si on ne vous payait pas assez ici ! Et bien le cabinet de recrutement par qui j’étais passé s’est engagé à nous remplacer le même produit (même profil, même années d’études, même expérience, même contrat, même salaire). Eux ce sont des pros ! Et moi ça m’arrange. Je n’ai pas à me poser de question, j’aurais le même. Je gagne du temps et de l’argent. Et toi, tu auras le même collègue.
— Je te comprends, Jean-Louis.
— Je sais que tu comprends. Et si le remplaçant d’Hervé pouvait aussi s’appeler Hervé ce serait encore mieux ! 
— Ce serait pratique oui. 
— Tu vas voir que ces pédés de chasseurs de tête sont capables de me trouver un mec qui a fait la même école de commerce et s’appelle aussi Hervé. Ah ah ah ! Ah putain, ce serait fort ! Enfin, faut pas rêver non plus ! Ah ah ah ! 
— Ah ah ah ! 
— Bon allez, c’est ok, je relirai ça demain, faut que je file au ciné me taper encore une daube sentimentale choisie par Sophie.
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