L' Alcoolique Mondain
  • Journal érotico-cynique de Théophane Dumartray
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Bonne année 2016 !

4/1/2016

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Je n’ai pas bu, je n’ai pas dragué, je ne me suis pas drogué ; j'ai cessé de me plaindre, d'appeler des escorts, de torturer mes stagiaires ;  pire, je n’ai guère lu ou écrit un mot depuis la Toussaint, car j’étais amoureux.
 
L’oncle d'Elizabeth était venu chasser avec sa seconde fille, Joséphine. Evidemment, cette cavalière à la taille fluette et au visage racé ne m’avait pas laissé indifférent, mais c’était le jour des morts, ma mère était décédée il y avait pile un an, j’étais déprimé, et puis, je le savais, j’allais inévitablement recoucher avec Elizabeth, aussi n’entrepris-je rien, ni après la curée ni au dîner.
 
Je pris cependant contact avec Joséphine dès le lendemain — béni soit Facebook. Draguer la jeune cousine d’une femme qui vous a invité en week-end et vous a ouvert son lit est assez ordurier mais il est des moments où il faut savoir se sauver soi-même, et dans les yeux de Joséphine j’entrevoyais mon salut.
 
Nous nous vîmes donc lundi soir. Un dossier urgent aurait dû me retenir au bureau mais parce qu’il n’était que trop temps de vivre, je sacrifiai mon client pour ne pas retarder ma cour.
 
Elle avait, comme toutes les femmes qui se savent belles et pourtant sont seules, ce mélange d’assurance et de tremblement. Les rires un peu forcés, les cigarettes fumées trop vite, les verres enchaînés sans mesure… Joséphine savait son monde glissant et rocailleux mais virevoltait avec élégance entre ses propres failles.
 
Je disais entrevoir mon salut dans ses yeux. Etait-ce vrai lors de notre premier rendez-vous ? Sans doute pas. C’est une relecture biaisée que je fais aujourd’hui. La vérité était que je voulais peut-être, comme à mon habitude, mettre une beauté de plus dans mon lit. Pas pour le tableau de chasse, pour le tableau tout court. La présence du Beau à portée de main, la chaleur d’un corps dans cette vie glacée, sans doute n’était-ce, une fois encore, que cela.
 
Sa conversation ne m’a pas particulièrement marqué mais j’aimais ses sourires d’enfant, ses rires enfantins, sa blondeur enfantine. Oui, j’aimais l’enfant plus que la femme. Pédophilie refoulée ? Non. Les hommes aiment les blondes car la blondeur est la couleur de l’enfance. Et que l’enfance est l’innocence. Le désir charnel ne vient qu’après. Les hommes aiment les cheveux d’or car ils évoquent l’innocence et la pureté ; et que ces dernières sont encore plus rares et précieuses que l’or des couronnes impériales.
 
Nous avons couché ensemble le premier soir. Passé la trentaine, on n’attend plus, on ne se juge plus, quand bien même l’histoire serait sans lendemain, quelques heures de sensualité sont une oasis dans une semaine aride, une trêve de douceur entre deux batailles, une lumière dans la nuit financière.
 
Je suis tombé amoureux d’elle instantanément. J’en ai connues pourtant : des sensuelles, des timides, des sauvages, des douces, des pornographes, des peine-à-jouir et des nymphomanes, des complexées, des libérées, des prudes et des sales, des belles, des moches, des buches, des lianes, des gueuses et des marquises, des masochistes et des dominatrices. Je n’attends rien du sexe. Le sexe est invariable. L’haleine, le parfum, la couleur de peau, la grosseur des seins et des fesses varient, mais le reste est identique.
 
Je n’attendais rien non plus de Joséphine. Mais son corps mince, cette maigreur qui frisait l’anorexie, m’émouvait. La fragilité émeut autant que l’innocence. Fit-elle des choses foncièrement différentes des autres ? Non. Se contorsionna-t-elle plus, se cambra-t-elle davantage, m’embrassa-t-elle mieux ? Non plus. Mais sa sensualité était sans retenue, ses râles spontanés, ses grimaces vraies, peut-être parce que pensant ne jamais me revoir elle se fichait de mon jugement et agissait instinctivement, mêlait son animalité à la mienne.
 
Le plaisir m’inondait, je la reprenais sitôt joui, la caressais et la maltraitais, l’inondais de baisers, la punissais de fessées, l’humiliais et l’idolâtrais, l’aimais comme une chienne et comme une reine. Pourtant tout cela n’est rien. Souffler le chaud et le froid est la base de l’amour charnel ; avec un peu d’expérience, tout le monde y vient. L’émotion était ailleurs.
 
A-t-on déjà vu un cou si mince, des attaches si frêles, une taille si menue ? A-t-on déjà vu des doigts si fins qu’ils rendent inévitablement inquiet qu’un autre moins doux que soi un jour les blesse des ses baisers amers ? Je ne la connaissais pas depuis deux heures que déjà je me sentais le devoir de la protéger. Peut-être était-ce pour cela que je l’avais aimée, non pas pour qu’elle s’occupe de moi mais pour m’occuper d’elle. Je ne cherche ni une amie, ni une mère en amour. On n’enlace une femme qu’afin que l’existence prenne un sens et que tout ne soit pas vain. Peut-être aussi pour le parfum de ses cheveux après l’étreinte.
 
Du 2 novembre jusqu’à Noël, nous nous vîmes tous les jours, je cessais presque de travailler, lui faisais l’amour au réveil, au déjeuner, puis de la fin d’après-midi jusqu’à l’aurore. J’annulais mes rendez-vous professionnels, déléguais tout mon travail aux juniors et stagiaires. Je ne voyais plus un ami. Nous marchions seuls dans Paris, dans les bois, perdus dans les rues et perdus dans les plaines. Nous nous enivrions dans les bistrots vides de Deauville et dans ceux bondés du Marais. Nous nous enivrions de nous-mêmes et nous enlacions devant la mer grise.
 
Nous n’avions rien de commun. Elle aimait le théâtre et l’Art, était critique littéraire à l’Obs. Je n’y connaissais rien. Mais cela semblait l’indifférer. Son désir me rendait viril et elle aimait ma virilité. Mes excès et ma débauche l’attendrissaient. Mon cynisme la faisait rire.
 
Lorsque mon membre endolori n’était plus bon à rien, nous passions des heures allongés à nous regarder sans parler. Moi qui n’ai jamais aimé. Moi qui vomis le monde, hais mon métier, hais cette époque et hais les gens. Moi qui ne cherche le pouvoir qu’à seule fin de ne pas mourir d’ennui. Moi qui combats tous les jours pour des gens que j’exècre et sers des causes que je conchie. Moi qui n’aime personne et ne digère la vie qu’à l’aide de whisky, pour la première fois, j’étais heureux.
 
J’embrassai mon père le soir de Noël et, fils ingrat, l’abandonnai à son veuvage pour partir le lendemain à Val d’Isère où j’avais loué un bel appartement dans un chalet proche de l’église. La neige était rare, mais il faisait beau. Elle skiait bien. Moi aussi. Nous parcourûmes le domaine de la Grande Motte jusqu’au Pissaillas, godillant entre les Anglais ivres et les écoles de ski. Après les descentes endiablées, après les bains de soleil, les bosses, les schuss, après les clopes sur les télésièges, les bières à la Folie Douce, la fondue aux cèpes, après les bouteilles d’Apremont, nous nous dénudions devant la cheminée, épuisés de ski et d’avoir trop mangé et trop bu. J’aimais son corps rosi par le feu, j’aimais le goût de ses lèvres, le goût de sa chatte, je la reniflais, la triturais, l’inspectais pour tout connaître d’elle, comme si les replis de peau m’avaient ouvert son âme, pour en avoir encore plus, pour ne rien laisser filer, ne rien perdre, la dévorer vivante pour ne jamais qu’elle parte. La peau blanche, les tétons roses dressés, et encore ce rire d’enfant, ce sourire franc qui jaillissait sans prévenir parce qu’elle était belle et que nous étions heureux.
 
Samedi, une lumière froide coulait des poutres de bois brut. Enfin il avait neigé. Enfin les sapins se couvraient de poésie blanche. La montagne redevenait magique et sauvage. Sous les sommets, les mélèzes et les rochers dessinaient des estampes japonaises. Nous avions réveillonné tard. J’étais encore au lit. Elle, nue devant la baie vitrée, regardait la Face olympique de Bellevarde où des skieurs, encore enivrés de la veille, descendaient difficilement dans les flocons épais.
 
Elle se retourna avec un air triste :
 
— Théophane, je ne le sens plus.
— Quoi ? demandai-je à moitié endormi.
— Entre nous, je ne le sens plus.
— Pardon ?
— Je suis désolée.
— C’est une blague ?
— Non.
— Mais hier…
— Je suis désolée.
— Tu déconnes ?
— Je suis désolée.
— Je ne comprends pas : depuis deux mois on ne fait que baiser et rire.
— Je sais.
— Mais tout ce temps passé ensemble, ces dîners, ces restos, ces sorties, ces vacances.
— Je suis désolée.
— Tu te fous de ma gueule ! La bataille de boules de neige hier, le réveillon, l’amour devant la cheminée ?!
— J’y croyais. Mais n’y crois plus.
— Mais c’était hier, bordel ! C’était hier. T’es tarée ou quoi ?
— Je ne le sens pas, c’est tout.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé dans la nuit ?
— Rien.  Il ne s’est rien passé, Théophane. Je ne contrôle pas.
— Mais, tu te fous de ma gueule, dis-moi que tu te fous de ma gueule ! Alors quoi, c’était que du cul ? C’est ça ? Tu voulais un mois de cul ? T’es qu’une pute !
— Pense ce que tu veux. Je ne t’ai pas menti. Je n’ai pas simulé. J’aimais l’amour avec toi. J’aimais le reste aussi. J’ai voulu y croire. J’ai essayé. Mais ce n’est pas moi. Je n’ai pas dormi. J’y ai pensé toute la nuit. Il faut voir la vérité en face, Théophane : on s’amuse tous les deux mais on n’a rien de commun. Pas les mêmes passions, pas les mêmes amis, pas les mêmes envies.
— Mais Joséphine, arrête de dire des conneries, bordel ! Prends-une douche. Calme-toi.
— Je suis calme. Je suis triste aussi, mais c’est comme ça.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette putain de merde ? Tu te fous de ma gueule ! Tu ne peux pas du jour au lendemain… pas après ce qu’on a vécu… hier encore. Mais t’es folle !
— Je suis vraiment désolée, Théophane, tu es un mec bien, derrière ton cynisme, il y a du bon, je sais que tu es sensible et tendre, que tu as tout fait pour bien t’occuper de moi, mais je n’y arrive pas, c’est tout.
 
Elle fit sa valise et commanda un taxi pour Bourg-Saint-Maurice. 
 
— Bonne année quand même, dit-elle en passant la porte. Elle releva le col de sa parka. Deux mèches blondes s’échappaient de son épais bonnet gris.
 

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