L' Alcoolique Mondain
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Esther, mon setter irlandais

14/9/2015

1 Commentaire

 
Diane m’avait invité en Provence, Elizabeth voulait voyager, mes parents auraient aimé que je leur rende visite, mais je n’eus pas le courage de partir en vacances.

« Les gens s'étonnent toujours que vous ne quittiez pas Paris l'été, sans comprendre que c'est précisément parce qu'ils le quittent que vous y restez » écrivait Montherlant. Il y a du vrai : Paris est une merde inversée. C’est l’hiver qu’elle pue et grouille le plus. L’été, on peut survivre : on reste dans la déjection, mais c’est respirable. Et, si l’on veut bien se soumettre au racket socialiste, on peut même s’y garer.

Les touristes japonais et leurs perches à selfie galopent dans l’été parisien. On dirait de petites licornes à dents de travers. Qui eût crû qu’un jour l’autoportrait l’emporterait sur le paysage, même en voyage ? Etrange pratique que de visiter un pays pour se souvenir de soi.

Début août, je suis tombé sur un jouet prénommé Esther.

Esther est irlandaise et entame une année sabbatique à Paris afin d’y apprendre la langue de Molière. Nous nous sommes croisés dans le Marais. Plus exactement, nous nous sommes croisés sur happn  alors que nous étions tous deux dans le Marais (si vous êtes un ignare englué dans le XXème siècle, allez sur https://www.happn.com/fr/ pour comprendre cette phrase). A croire que seuls les vieux, les pauvres et les laids se croisent encore réellement.

Si Esther a certainement imaginé que coucher avec le premier venu était le meilleur moyen pour se faire des amis dans une ville inconnue, qu’elle ne compte pas sur moi pour lui présenter les miens. J’en ai peu. J’aime d’ailleurs de moins en moins la plupart d’entre eux. Je garde jalousement les derniers et, quoi qu’il en soit, ne mélange jamais les genres.

Les Irlandais n’ont jamais été très raffinés, surtout leur middle-class. Cela se ressent au lit : forniquer avec Esther est agréable mais un peu brouillon. On dirait un jeune setter qui a du nez et du souffle mais ne sait pas encore se mettre à l’arrêt. Son côté maladroit m’amuse autant qu’il me fatigue.

Quand, après avoir joué tout l’après-midi, il m’est impossible d’encore bander, nous partons nous promener. J’invente pour elle l’histoire des immeubles et des hommes : un archevêque libertin par-ci, la tombe d’un preux chevalier par-là, une ancienne chapelle rasée, la chambre de travail d’un révolutionnaire, la fenêtre d’un pamphlétaire, une cave de la milice, je lui raconte n’importe quoi et elle gobe tout, ravie.

Esther ne m’aime pas personnellement. Comme tous ces étrangers pour qui vivre à Paris est, en soi, un acte romantique, elle aime en moi le parisien. Malgré mon costume de banquier, je suis à ses yeux un dandy philosophe, un aristocrate lettré, peut-être même un peintre bohème, en tout cas, un buveur impénitent à la culture raffinée et aux mœurs légères. Seul mon amour de la boisson est véridique mais elle m’imagine romantique — et pense que les pratiques sexuelles auxquelles je la contrains le sont également.

Après l’amour, Esther a parfois des regards insoutenables, comme si le sexe l’avait écartelée et qu’on pouvait enfin plonger dans son âme. Une chose est certaine : elle n’est pas ici pour découvrir un pays mais pour se fuir en fuyant le sien.

Je crois qu’Esther est une fille profondément triste, et  comment ne pas l’être quand on est Irlandaise ? Trop de domination anglaise, de guerres, de pluie, de lumière et d’embruns, trop de whiskey et d’herbe grasse, trop de misère, trop d’Eglise hier et trop peu aujourd’hui, l’Irlande a trop souffert pour que ses habitants soient heureux. Où sont les libérateurs et les révolutionnaires ? Après le joug anglais, la famine, l’émigration, l’indépendance, la guerre civile, l’Irlande a crû renaître en faisant des bulles, des bulles internet, des bulles financières, dix ans de croissance folle, mais 2008 arriva, et ce fut la crise. Le tigre celtique a fini en tapis. Qu’est ce que l’Irlande aujourd’hui ? Une île même pas entière, un paradis fiscal, un pays qui se redresse péniblement, un peuple entier qui vend son âme pour du pognon.

Tout cela, je l’ai lu sur les fesses laiteuses d’Esther, rougies par mes fessées.

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1 Commentaire
mikael hirsch link
16/9/2015 12:05:03 am

"vieux, pauvre et laid"... c'est bien ma veine, pour une fois que je cumule ! Heureusement, il y a Bonnard...

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