Lorsque je suis las des vernissages et des happy-ending prodigués sans conviction par la «masseuse traditionnelle » thaï de ma rue, il m’arrive de partir louer un peu de soleil. Parfois même un transat à un plagiste détestable.
J’emmenai Elizabeth trois jours aux Canaries. Pourquoi Elizabeth ? Mon étudiante Dauphinoise m’aurait ennuyé avant que l’avion n’ait atterri ; Elodie (ma stagiaire) semblait exclusivement conçue pour les photocopieuses et les hôtels parisiens ; les autres ne voulaient plus me voir ; il ne restait qu’elle. Il fut un temps où Elizabeth m’aimait. J’avais moi-même été au bord de ce sentiment, mais l’avais longé sans perdre pied. Elle m’en avait voulu de l’avoir ainsi laissé choir en solitaire. Et puis, quoique meurtrie, nous nous étions réconciliés car j’étais le seul homme susceptible de l’emmener en vacances. Après s’être baladés au milieu des vipérines à fleurs roses, des plantes de rocaille et des arbustes aux feuilles bleu-vert, nous étalâmes nos draps de lin sur une plage et nous y ennuyâmes deux heures. Certains ont vu dans les Canaries les Champs Élysées, le jardin des Hespérides ou l'Atlantide de Platon, je ne voyais que de vieux Allemands barbotant. -- Jean de Béthencourt, originaire de Dieppe, devint roi des Canaries, lançai-je à Elizabeth. -- Un parcours à la Kate Middleton, répondit-elle. N’ayant rien d’autre à se dire, on rentra à l’hôtel faire l’amour. La fenêtre apportait des odeurs de fleurs exotiques (mais peut-être était-ce seulement le Tahiti-douche renversé dans la baignoire). Je m’installai fumer au balcon. En bas, on apercevait un petit buisson aux fleurs blanches, un argyranthemum frutescens, la fameuse marguerite de Paris originaire des Canaries, et quelques cactus étranges comme on en voit chez les pépiniéristes du Châtelet. Soudain, le passé surgit des palmiers : une mature immense comme des rêves d’enfant apparut dans la baie. Des canons saluèrent l’Hermione. La réplique de la frégate de La Fayette arrivait de Rochefort et faisait vraisemblablement escale aux Canaries avant de traverser l’Atlantique. Nous n’étions plus en 1780, nul besoin de convaincre Louis XVI d’aider les troupes de Washington, nul besoin de rallier Boston à la voile, l’Amérique était indépendante. Pourtant la frégate repartait, peut-être parce que la liberté acquise n’est qu’une autre forme d’asservissement et qu’il faut sans cesse se libérer. J’avais trop bu, comme toujours. Une ombre m’envahit. -- Qu’est ce qu’il y a ? s’inquiéta Elizabeth. -- Rien. L’Hermione me fait penser qu’il n’y a pas si longtemps les arbres enfantaient des bateaux. -- Hum hum… -- Ils avançaient avec le vent. On voyageait à cheval aussi. Je ne sais lequel des deux est le plus triste. -- Qu’est ce que tu racontes ? -- Qu’il est des choses passées dont on ne se remet pas : les lignes d’une carène, l’élégance d’une dunette, et ces voiles qu’on affale dans le couchant. C’est insupportable de voir ça aujourd’hui ! Comme si ça n’allait pas assez mal. -- Je ne te suis pas. -- Ce soir, je mettrai le feu à l’Hermione ! -- Tu dis n’importe quoi. Viens, recouche-toi, prends-moi fort. Alors, puisqu’elle n’aimait l’amour qu’ainsi je la pris violemment. En effet, malgré son apparence bourgeoise et calme, Elizabeth voulait toujours plus de morsures, de griffures, de sueur et de cris, comme si les caresses préliminaires n’étaient que le cadre doré d’une bataille sanguinaire. Demeurée seule trop longtemps, un bélier défonçant ses entrailles la rassurait, et elle voulait constamment sentir la domination mâle. Comme d’autres, elle ne jouissait que dans la violence et cette considération me donna encore davantage envie de pleurer que la vue de l’Hermione. Enfin, pensai-je, puisque seul le désir de soumission l’anime, alors soit ! Ce soir, après que l’équipage lui sera passé dessus, je l’attacherai au grand mat, la fouetterai encore un peu, car elle ne comprend que ça, et après seulement je coulerai l’Hermione !
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Octobre 2016
AuthorThéophane Dumartray Categories |