L' Alcoolique Mondain
  • Journal érotico-cynique de Théophane Dumartray
  • Edito
  • Art & Littérature



Qu'est-ce qu'un déménagement ? 

31/10/2016

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« On me chasse de mon appartement (…) il y aura du remue-ménage, de la casse, c’est affreux à penser ». Comme je me sens proche d’Oblomov, j’entends presque Alexéeff me répondre comme il le faisait à Ilya Ilitch : « dans un déménagement, il y a toujours beaucoup de tracas (…) on égare, on brise, quel ennui ! ».

Mon propriétaire reprend son bien pour y loger une fille encore plus laide que lui.  Il en a le droit. Celui de tout propriétaire, fût-il une richissime charogne, de jeter à la rue un honnête homme. Je lui ai proposé d'acheter son appartement, il a refusé,  de le lui louer plus cher, il m'a ri au nez. Ayant probablement égaré son cœur entre les cuisses d'une secrétaire, cette ordure n’a rien voulu entendre ! 

Partir me tue, croyez-moi, il y a autant de mort dans le déménagement qu’il y a de fuite dans le voyage. Je ne veux pas mourir, pas encore, ou alors de façon noble et brutale, en duel ou sous les dents d’un fauve. 
 
Sept ans ici. Sept ans de ma vie qui m’apparaissent tantôt comme sept minutes tantôt comme sept mille ans. Il était trop grand et trop cher quand je l’ai pris, il est aujourd’hui trop étroit et je pourrais évidemment me loger "mieux". Mais que ferais-je de ce « mieux » ? comme si un palais étranger faisait ombrage à la maison qui nous a vu naître. Or, d’une certaine façon, je suis né dans cet appartement.
 
J’avais reconstitué un boudoir, une cabane de chasse, un refuge pour trappeurs et gentilshommes. Plus qu’une garçonnière, c’était un cabinet de curiosités, une fenêtre sur le passé, un canapé à remonter le temps. Les rares êtres humains qui y passaient regardaient, tantôt avec intérêt tantôt avec malaise mais jamais avec indifférence mes innombrables bibelots, mes gravures anglaises et mes massacres de cerfs, mes photos d’inconnus et mes estampes érotiques. J’avais ramassé, accumulé, entassé tout ce que les maisons de vente, les antiquaires véreux et les aristocrates ruinés avaient laissé derrière eux.
 
Un ami (si tant est que j’en ai un jour eu un et si tant est qu’il le soit encore après m’avoir tenu de si détestables propos) tenta de me rassurer en me suggérant de tout emporter. L’imbécile ! Cette poutre de bois sombre comme du tabac contre laquelle j’ai fouetté une femme aux seins nus et roses qui portait une casquette nazie, vais-je l’emporter ? Qui me rendra ce merveilleux souvenir ? Qui me rendra cette nuit où on a joué au Portiere di notte et où j’ai aimé une Rampling jusqu’au petit matin. Et Marion qui jouait à la Fanny de Musset « s’excitant par des poses lascives, bien follement lubriques, provoquant avec ses doigts tout l’excès des plaisirs » … qui me rendra ces lattes de bois imbibées de sa vulve luisante ?
 
Et le mur du petit salon ? vais-je arracher un mur ? allons !  Pourtant Charlotte a dessiné dessus. Charlotte était graphiste. Elle sortait tout juste de Penninghen, fumait trop de pétards, et portait des bas. Pas des bas noirs élastiques comme on en croise chez les femmes qui se sentent délaissées. Non des bas « crème » avec une jarretière de soie rose ! Des bas du temps jadis. Charlotte était mon XVIIIème siècle. Elle ne m’a jamais aimé. Moi si, éperdument. C'est-à-dire mal. Son obstination à ne pas aimer me torturait et cette  douleur était délicieuse. C’est aussi pour cela que je ne peux déménager. Je revois sa mâchoire carrée, ses seins d’adolescente, les taches de rousseur anglaise qui marbraient son corps comme une campagne automnale. Je lui avais demandé de dessiner un vol imaginaire de perdreaux, de faisans vénérés, et d’aigles à deux têtes, une bataille aérienne avec des oiseaux de rêve et des armes impériales. Je la revois tracer ces longues arabesques de plumes comme autant de flèches dans un ciel glacé. Elle rigolait, esquissait de sa main droite, précise et sûre, des courbes au fusain cependant que sa main gauche arrosait de vin rouge mon parquet clair !
 
Et ces selles au cuir jauni et craquelé, qu’en faire ? « Elles ne te servent à rien, ergota cet ami qui ne l’est plus, on dirait une écurie ! ». Le salaud. Il mériterait d’épouser la fille de mon propriétaire. J’enverrais à la guillotine tous ceux qui n’aiment pas les écuries. Que n’aurais-je fait livrer de la paille, du crin trempé de sueur et du crottin dans mon salon si cela avait été possible ! 
 
Mes selles s’emplissent de poussière, je les en aime d’autant plus. Je m’y adosse pour lire. J’ai vomi derrière ces selles, j’y ai pris des femmes (avec maillets de polo et cravaches), j’ai dormi sur elles. J’y ai traversé des plaines argentines et vécu des nuits inventées. Ivre, à califourchon, je me suis tour à tour imaginé mousquetaire, hussard, brigand, chevalier, gendarme, chouan, aventurier ; quelques foulées de plus et j’étais un homme.
 
Et la lumière ? Les toits dans les matins d’été. Les toits sous la pluie d’automne. Qui me rendra ma lumière ? Quand la vie est sombre et les pensées grises, qu’a-t-on d’autre que le soleil sur les toits de Paris ?
 
Et mes livres ?! Ils sont agencés d’une certaine façon qui n’est liée ni au genre, ni à l’époque, ni à l’auteur, encore moins à l’éditeur. Certains n’y voient qu’un bordel digne d’un illettré. Il est vrai que la taille des étagères et la chronologie des achats sont la seule explication de ce classement. Cependant Houellebecq côtoie Verlaine, il y a de de la lucidité et du désespoir chez les deux. Wilde est dans le voisinage de B.E. Ellis, leur critique de l’époque et leur causticité s’accordent bien. Quand je dors ou que je suis trop ivre pour les entendre, les deux dandies se parlent. Histoire d’O est à côté de Madame Bovary. Deux bourgeoises sentimentales en mal de cul. Ça va bien ensemble aussi. Quoique Houellebecq c’est aussi du Flaubert. Gustave aurait du reste dit aux frères Goncourt « L'histoire, l'aventure d'un roman, ça m'est bien égal. J'ai l'idée, quand je fais un roman, de rendre une couleur, un ton. Dans Madame Bovary, je n'ai eu que l'idée de rendre un ton gris, cette couleur de moisissure d'existences de cloportes ». On n’est pas loin de Michel. Le hasard a admirablement classé mes écrivains, certains rigolent ensemble, nombre d’entre eux s’ignorent, la plupart d’entre eux se méprisent. C’est un village médiéval et biscornu, coincé entre le bois immense des poutres et les rives plafonnières. Alors quoi ? Je devrais donc tout classer par ordre alphabétique dans une étagère Billy ? Plutôt crever.
 
Mais il faut partir, abandonner ce repaire, laisser derrière rêves et souvenirs, emménager dans un appartement clair, avec des moulures et un balcon baigné de lumière, regarder toujours en soi, être toujours aussi seul, mais entouré de wc blancs et d’électroménager rutilant.
 
 

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Sociologie du Topless

20/8/2016

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L’été 2016 commençait de la pire des manières: Brexit, investiture de Donald Trump, attentats sordides, invasion de Pokemon Go, polémique sans fin sur le burkini. Au milieu de la tragédie quotidienne, tel un pied de nez fait aux fondamentalistes, une bonne nouvelle néanmoins, ronde, légère et dorée comme son objet : le retour du Topless à l’île de Ré !
 
  • Trousse chemise (et pas que)
 
Jours après jours, elles défilent ou s’étendent sur le sable avec l’arrogance des corps jeunes et bien faits. Lorsqu’elles s’en vont faire un Mao (c’est ainsi qu’on appelle le fait de partir d’un point de la plage en se laissant porter par le courant vers un autre, en hommage au grand timonier qui semblait-il se laissait dériver de même dans le fleuve jaune), la plage entière les observe.
 
Car, à Trousse Chemise, au milieu des mamans bourgeoises, des enfants mangeant leurs chocos ensablés, des pères de famille discutant immobilier, au milieu des voiliers hurlant sur les zodiacs qui, mouillés sans logique dans le courant, leur empêchent toute approche de cette côte abritée du vent, deux poitrines ont surgi ! Au milieu de cette pièce qui, chaque été, se rejoue à l’identique, deux frêles poitrines se sont dressées comme un étendard de défi aux bonnes mœurs et aux ennemis de la liberté.
 
Elles marchent, rigolent. Le soleil veut les écraser mais leur jeunesse résiste à tout. Elles ont la confiance des filles qui ne sont pas encore femmes mais se savent déjà désirées comme telles. Le Mao fini, elles reviennent à pied. L’eau du Fier d’Ars dégouline entres leurs petites collines dont le froid a dressé les tétons.
 
Les deux jeunes filles secouent leur serviette, reprennent leurs magazines et s’allongent à nouveau. Peu à peu, le sel sèche sur leurs promontoires dorés cependant qu’une risée tourbillonnante vient apporter des odeurs de pins et de lavande.
 
La plage de Trousse Chemise est située, après les Portes, à la dernière extrémité de l’île de Ré. Aznavour la chantait déjà : « Dans le petit bois de Trousse Chemise. Quand la mer est grise et qu'on l'est un peu… ». Quant à son étrange nom, deux explications. La première est pratique : la plage serait ainsi nommée parce que, lors des grandes marées basses, en reTroussant sa Chemise, on peut atteindre Loix (le village d’en face) à pied. La seconde est historique : elle s’appellerait ainsi en souvenir du cul que les rhétais montrèrent au duc de Buckingham après son débarquement avorté à l’île de Ré pour délivrer la Rochelle (protestante) assiégée par Richelieu.
 
Cet été, deux post-adolescentes firent de même, mais pour montrer le haut. 
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  • Résurrection plus que naissance.
 
Le topless a existé dans les années 70 et 80, à l’île de Ré comme ailleurs. Ainsi qu’en témoignent les vieilles couvertures de WIND ou PlancheMag (reproduites ci-dessous), on faisait même de la planche à voile, seins nus.
 
Alors que leurs mères se baignaient avec une charlotte pour protéger leur permanente, alors que l’île de Ré n’avait ni pont, ni vedettes à moteur, ni Porsche et oliviers centenaires bordant les piscines portingalaises, alors qu’il n’y avait pas même de route goudronnée pour atteindre Trousse Chemise, à l’époque où l’on s’encanaillait, à Ars, aux Frères de la côte, où le Boucquingam (sur le port de Saint Martin) était une boîte de locaux, où l’on pouvait prendre un verre de Royal (le blanc local) sans chichi à la Baleine Bleue, et danser toute la nuit à la Pergola, les filles étaient seins nus. Toutes ! Les prolos, les BCBG, les aristos, les monitrices de voile : presque autant de tétons à l’air que de galets aux pieds de la balise verte de la Patache.
 
 
 
  • Les poitrines se sont couvertes alors même que la société se sexualisait
Et puis arrivèrent les années 90, puis 2000. La société devint hypersexualisée, la mode commença à jouer avec le sexe, la publicité avec l’érotisme, l’érotisme avec la pornographie, dont sa branche chic devenait dans le même temps un art. Les pratiques sexuelles dites « hard » se démocratisèrent, même chez les plus jeunes.
 
Paradoxalement ou, au contraire, afin précisément de faire contrepoids à cette nudité partout affichée, les seins se couvrirent sur les plages bordant l’Atlantique. Sur la Côte d’Azur, le topless résista mais, du Pays basque à la Bretagne, pas un mamelon à l’horizon.
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  • Le topless jugé « impudique » par près de la moitié des femmes
 
Le topless est jugé « impudique » par 46 % des femmes (contre 31 % des hommes), « passé de mode » par 57 % (contre 36 %) et « moins séduisant qu’un joli maillot » par 75 % des femmes (contre 52 % des hommes) révélait une enquête BVA réalisée pour Le Parisien en 2013. 
 
On pensait donc la partie pliée et avoir des vacances reposantes. Pourtant, depuis une semaine, c’est à dire à la période de l’année durant laquelle la plage de Trousse est la plus chargée, deux jeunes filles ont, comme si de rien n’était, dévoilé leurs gorges menues aux bourgeois.
  • Faussement naïves
 
Quand la plage se vide, je pars les interviewer. Elles ont toutes les deux vingt ans. Constance est étudiante en médecine. Sidonie travaille en alternance pour une compagnie d’assurance.
 
« Pourquoi enlever le haut ? Geste politique ? Egalité homme-femme ? Sexualité libérée ? Solidarité avec les Femen, contrepied du burkini ? ». La réponse est décevante : ce serait seulement pour éviter une marque de bronzage.
 
Je ne les crois pas : «mais enfin, la plage entière vous regarde, vous le savez, ce n’est pas anodin ? ». Elles répondent que, paradoxalement, seul le regard des femmes pose problème : « on voit bien qu’elles se disent : “c’est qui ces deux traînées ?” ». Ok, on en est là. Mais le regard des hommes ? Quid du regard des hommes ? « Neutre », me disent-elles.
 
Naïves ou faussement naïves ? Je pencherais pour la seconde. Elles ont forcément entendu une fois Patrick Coutin,  « j'aime regarder les filles qui marchent sur la plage, leurs poitrines gonflées par le désir de vivre… », et sont trop âgées pour ne pas savoir ou sentir qu’un homme n’est jamais « neutre » devant une poitrine. Certes, il feindra de l’être, voudra à juste titre ne pas passer pour un  voyeur lubrique, certes il ramassera le râteau de son fils, terminera le château de sable, détournera le regard, pensera à sa femme, à sa fille, à sa belle-mère, mais jamais, en aucune façon, il ne sera indifférent devant ces demi-planètes qui, le temps d’une éclipse du regard, ont placé son désir en orbite.
 
Je remarque une petite trainée de sel blanc sur le sein gauche de Constance.
 
— Je peux lécher, demandé-je ?
— Ça va pas ! s’indigne Sidonie.
— Ce n’est pas à toi que je pose la question.
 
Constance me regarde. Elle sourit. Aznavour trotte dans ma tête : « Dans le petit bois de Trousse Chemise. On fait des bêtises souviens-toi nous deux… ».
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Je sens bien que je me décompose 

4/3/2016

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​Il y a encore peu de temps, j’étais beau. J’avais les traits fins, les cheveux fournis ; au bord de la piscine, mes amis jalousaient mon corps bien fait. Je le savais et j’en profitais. Le regard ténébreux donne l’air intelligent. Les épaules larges rassurent. J’ai eu nombre de filles qu’à la faveur de mon physique. Du reste, qui se soucie de l’esprit, de la culture ou du coeur pour un soir.
 
Dans l'immense glace du bureau de Jean-Louis, je vois que cela finit. Je ne suis pas encore vieux et laid mais le processus est enclenché. Mon crâne se dégarnit, mon front se creuse, mes pectoraux ont fondu pour former une bouée ceignant mollement le souvenir de ce qui jadis furent mes abdominaux. Ma barbe est plus dure, ma peau plus râpeuse, le tabac et le café ont jauni mes dents. Je pourris. Parfois, mon haleine est déjà celle d’un vieux. Je sens remonter des émanations de nuits brûlées, des vestiges de whisky et de cigarettes. Sous mes yeux, des poches emplies de fatigue et de vin trop lourd, il fait gris.
 
Cela ne se voit pas trop encore car je maquille. J’ai acheté une crème hydrante que j’étale comme on embaume un mort. Elle apporte un peu d’humus au fond de ces rigoles sèches, une nouvelle toiture sur ces poutres pourries. Le costume et la cravate m’affinent encore, me donnent un semblant de stature et de vigueur, mais je sens bien que je me décompose et que je finirai comme cette merde de Jean-Louis. 
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Bonne année 2016 !

4/1/2016

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Je n’ai pas bu, je n’ai pas dragué, je ne me suis pas drogué ; j'ai cessé de me plaindre, d'appeler des escorts, de torturer mes stagiaires ;  pire, je n’ai guère lu ou écrit un mot depuis la Toussaint, car j’étais amoureux.
 
L’oncle d'Elizabeth était venu chasser avec sa seconde fille, Joséphine. Evidemment, cette cavalière à la taille fluette et au visage racé ne m’avait pas laissé indifférent, mais c’était le jour des morts, ma mère était décédée il y avait pile un an, j’étais déprimé, et puis, je le savais, j’allais inévitablement recoucher avec Elizabeth, aussi n’entrepris-je rien, ni après la curée ni au dîner.
 
Je pris cependant contact avec Joséphine dès le lendemain — béni soit Facebook. Draguer la jeune cousine d’une femme qui vous a invité en week-end et vous a ouvert son lit est assez ordurier mais il est des moments où il faut savoir se sauver soi-même, et dans les yeux de Joséphine j’entrevoyais mon salut.
 
Nous nous vîmes donc lundi soir. Un dossier urgent aurait dû me retenir au bureau mais parce qu’il n’était que trop temps de vivre, je sacrifiai mon client pour ne pas retarder ma cour.
 
Elle avait, comme toutes les femmes qui se savent belles et pourtant sont seules, ce mélange d’assurance et de tremblement. Les rires un peu forcés, les cigarettes fumées trop vite, les verres enchaînés sans mesure… Joséphine savait son monde glissant et rocailleux mais virevoltait avec élégance entre ses propres failles.
 
Je disais entrevoir mon salut dans ses yeux. Etait-ce vrai lors de notre premier rendez-vous ? Sans doute pas. C’est une relecture biaisée que je fais aujourd’hui. La vérité était que je voulais peut-être, comme à mon habitude, mettre une beauté de plus dans mon lit. Pas pour le tableau de chasse, pour le tableau tout court. La présence du Beau à portée de main, la chaleur d’un corps dans cette vie glacée, sans doute n’était-ce, une fois encore, que cela.
 
Sa conversation ne m’a pas particulièrement marqué mais j’aimais ses sourires d’enfant, ses rires enfantins, sa blondeur enfantine. Oui, j’aimais l’enfant plus que la femme. Pédophilie refoulée ? Non. Les hommes aiment les blondes car la blondeur est la couleur de l’enfance. Et que l’enfance est l’innocence. Le désir charnel ne vient qu’après. Les hommes aiment les cheveux d’or car ils évoquent l’innocence et la pureté ; et que ces dernières sont encore plus rares et précieuses que l’or des couronnes impériales.
 
Nous avons couché ensemble le premier soir. Passé la trentaine, on n’attend plus, on ne se juge plus, quand bien même l’histoire serait sans lendemain, quelques heures de sensualité sont une oasis dans une semaine aride, une trêve de douceur entre deux batailles, une lumière dans la nuit financière.
 
Je suis tombé amoureux d’elle instantanément. J’en ai connues pourtant : des sensuelles, des timides, des sauvages, des douces, des pornographes, des peine-à-jouir et des nymphomanes, des complexées, des libérées, des prudes et des sales, des belles, des moches, des buches, des lianes, des gueuses et des marquises, des masochistes et des dominatrices. Je n’attends rien du sexe. Le sexe est invariable. L’haleine, le parfum, la couleur de peau, la grosseur des seins et des fesses varient, mais le reste est identique.
 
Je n’attendais rien non plus de Joséphine. Mais son corps mince, cette maigreur qui frisait l’anorexie, m’émouvait. La fragilité émeut autant que l’innocence. Fit-elle des choses foncièrement différentes des autres ? Non. Se contorsionna-t-elle plus, se cambra-t-elle davantage, m’embrassa-t-elle mieux ? Non plus. Mais sa sensualité était sans retenue, ses râles spontanés, ses grimaces vraies, peut-être parce que pensant ne jamais me revoir elle se fichait de mon jugement et agissait instinctivement, mêlait son animalité à la mienne.
 
Le plaisir m’inondait, je la reprenais sitôt joui, la caressais et la maltraitais, l’inondais de baisers, la punissais de fessées, l’humiliais et l’idolâtrais, l’aimais comme une chienne et comme une reine. Pourtant tout cela n’est rien. Souffler le chaud et le froid est la base de l’amour charnel ; avec un peu d’expérience, tout le monde y vient. L’émotion était ailleurs.
 
A-t-on déjà vu un cou si mince, des attaches si frêles, une taille si menue ? A-t-on déjà vu des doigts si fins qu’ils rendent inévitablement inquiet qu’un autre moins doux que soi un jour les blesse des ses baisers amers ? Je ne la connaissais pas depuis deux heures que déjà je me sentais le devoir de la protéger. Peut-être était-ce pour cela que je l’avais aimée, non pas pour qu’elle s’occupe de moi mais pour m’occuper d’elle. Je ne cherche ni une amie, ni une mère en amour. On n’enlace une femme qu’afin que l’existence prenne un sens et que tout ne soit pas vain. Peut-être aussi pour le parfum de ses cheveux après l’étreinte.
 
Du 2 novembre jusqu’à Noël, nous nous vîmes tous les jours, je cessais presque de travailler, lui faisais l’amour au réveil, au déjeuner, puis de la fin d’après-midi jusqu’à l’aurore. J’annulais mes rendez-vous professionnels, déléguais tout mon travail aux juniors et stagiaires. Je ne voyais plus un ami. Nous marchions seuls dans Paris, dans les bois, perdus dans les rues et perdus dans les plaines. Nous nous enivrions dans les bistrots vides de Deauville et dans ceux bondés du Marais. Nous nous enivrions de nous-mêmes et nous enlacions devant la mer grise.
 
Nous n’avions rien de commun. Elle aimait le théâtre et l’Art, était critique littéraire à l’Obs. Je n’y connaissais rien. Mais cela semblait l’indifférer. Son désir me rendait viril et elle aimait ma virilité. Mes excès et ma débauche l’attendrissaient. Mon cynisme la faisait rire.
 
Lorsque mon membre endolori n’était plus bon à rien, nous passions des heures allongés à nous regarder sans parler. Moi qui n’ai jamais aimé. Moi qui vomis le monde, hais mon métier, hais cette époque et hais les gens. Moi qui ne cherche le pouvoir qu’à seule fin de ne pas mourir d’ennui. Moi qui combats tous les jours pour des gens que j’exècre et sers des causes que je conchie. Moi qui n’aime personne et ne digère la vie qu’à l’aide de whisky, pour la première fois, j’étais heureux.
 
J’embrassai mon père le soir de Noël et, fils ingrat, l’abandonnai à son veuvage pour partir le lendemain à Val d’Isère où j’avais loué un bel appartement dans un chalet proche de l’église. La neige était rare, mais il faisait beau. Elle skiait bien. Moi aussi. Nous parcourûmes le domaine de la Grande Motte jusqu’au Pissaillas, godillant entre les Anglais ivres et les écoles de ski. Après les descentes endiablées, après les bains de soleil, les bosses, les schuss, après les clopes sur les télésièges, les bières à la Folie Douce, la fondue aux cèpes, après les bouteilles d’Apremont, nous nous dénudions devant la cheminée, épuisés de ski et d’avoir trop mangé et trop bu. J’aimais son corps rosi par le feu, j’aimais le goût de ses lèvres, le goût de sa chatte, je la reniflais, la triturais, l’inspectais pour tout connaître d’elle, comme si les replis de peau m’avaient ouvert son âme, pour en avoir encore plus, pour ne rien laisser filer, ne rien perdre, la dévorer vivante pour ne jamais qu’elle parte. La peau blanche, les tétons roses dressés, et encore ce rire d’enfant, ce sourire franc qui jaillissait sans prévenir parce qu’elle était belle et que nous étions heureux.
 
Samedi, une lumière froide coulait des poutres de bois brut. Enfin il avait neigé. Enfin les sapins se couvraient de poésie blanche. La montagne redevenait magique et sauvage. Sous les sommets, les mélèzes et les rochers dessinaient des estampes japonaises. Nous avions réveillonné tard. J’étais encore au lit. Elle, nue devant la baie vitrée, regardait la Face olympique de Bellevarde où des skieurs, encore enivrés de la veille, descendaient difficilement dans les flocons épais.
 
Elle se retourna avec un air triste :
 
— Théophane, je ne le sens plus.
— Quoi ? demandai-je à moitié endormi.
— Entre nous, je ne le sens plus.
— Pardon ?
— Je suis désolée.
— C’est une blague ?
— Non.
— Mais hier…
— Je suis désolée.
— Tu déconnes ?
— Je suis désolée.
— Je ne comprends pas : depuis deux mois on ne fait que baiser et rire.
— Je sais.
— Mais tout ce temps passé ensemble, ces dîners, ces restos, ces sorties, ces vacances.
— Je suis désolée.
— Tu te fous de ma gueule ! La bataille de boules de neige hier, le réveillon, l’amour devant la cheminée ?!
— J’y croyais. Mais n’y crois plus.
— Mais c’était hier, bordel ! C’était hier. T’es tarée ou quoi ?
— Je ne le sens pas, c’est tout.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé dans la nuit ?
— Rien.  Il ne s’est rien passé, Théophane. Je ne contrôle pas.
— Mais, tu te fous de ma gueule, dis-moi que tu te fous de ma gueule ! Alors quoi, c’était que du cul ? C’est ça ? Tu voulais un mois de cul ? T’es qu’une pute !
— Pense ce que tu veux. Je ne t’ai pas menti. Je n’ai pas simulé. J’aimais l’amour avec toi. J’aimais le reste aussi. J’ai voulu y croire. J’ai essayé. Mais ce n’est pas moi. Je n’ai pas dormi. J’y ai pensé toute la nuit. Il faut voir la vérité en face, Théophane : on s’amuse tous les deux mais on n’a rien de commun. Pas les mêmes passions, pas les mêmes amis, pas les mêmes envies.
— Mais Joséphine, arrête de dire des conneries, bordel ! Prends-une douche. Calme-toi.
— Je suis calme. Je suis triste aussi, mais c’est comme ça.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette putain de merde ? Tu te fous de ma gueule ! Tu ne peux pas du jour au lendemain… pas après ce qu’on a vécu… hier encore. Mais t’es folle !
— Je suis vraiment désolée, Théophane, tu es un mec bien, derrière ton cynisme, il y a du bon, je sais que tu es sensible et tendre, que tu as tout fait pour bien t’occuper de moi, mais je n’y arrive pas, c’est tout.
 
Elle fit sa valise et commanda un taxi pour Bourg-Saint-Maurice. 
 
— Bonne année quand même, dit-elle en passant la porte. Elle releva le col de sa parka. Deux mèches blondes s’échappaient de son épais bonnet gris.
 

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De la gestion des stagiaires

1/12/2015

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(ressources humaines, cours n°2)

​Julien est venu me voir (et donc me déranger) pour m'annoncer que son stagiaire n'allait pas bien.
 
Je n'ai jamais pris les stagiaires pour des êtres humains mais ne supporte pas l'idée d'un outil de travail défectueux. Or, qui dit stagiaire défectueux, dit Julien défectueux, dit, en bout de chaîne, problème pour moi. Je lui ai donc calmement expliqué :
 
— Ecoute Julien, Henri est ton stagiaire, ton esclave, comme toi tu es le mien. Chacun est personnellement responsable de son esclave. Tu vois ?
— Non.
— Je vais prendre une autre image. Pour éviter les doublons et gagner en efficacité, je pense qu’il est bon que notre hiérarchie s’inspire du système féodal. Or selon ce dernier, le vassal de mon vassal n'est pas mon vassal.
— Tu t'occupes bien d'Elodie !
— Ça n'a rien à voir. Elodie est une stagiaire femelle. Le système n'est alors plus féodal mais monarchique, un lien unique existe entre la paysanne et son roi.
— Tu es fou.
— Je sais.
— Je te dis juste qu’Henri ne va pas bien.
— Personne ne va bien.
— Je ne sais pas quoi faire.
— Moi non plus. Je ne suis pas vétérinaire.
 
Le bougre insista tant qu'il m'obligea, une fois encore, à révéler au monde mon immense mansuétude. J’allai voir l'animal en question : il était, en effet, bon à piquer, ce qui n’est pas de mon ressort mais de celui des ressources humaines.
 
La RH ne sert à rien mais Jean-Louis la saute de temps en temps et elle a parfois son mot à dire sur nos bonus, il est donc primordial de toujours s’adresser à elle poliment.
 
— Bonjour Julie.
— Quoi ?
— Je te dérange ?
— Oui, mais vas-y.
— Je crois que nous sommes en train de perdre un stagiaire.
— Quel matricule ?
— Je n'en sais rien. Il s’appelle Henri.
— Ah, le 312.
— Si tu le dis.
— Je le dis parce que je le sais. Quel est le problème ?
— Ses cernes atteignent un niveau de gris inquiétant et il développe de petits boutons rouges à la racine des cheveux.
— Le cabinet te remercie pour ton diagnostic dermatologique. Mais quel est le problème ?  
— Le problème est qu'il vient d’enchaîner deux week-ends full time et trois "nocturnes", et qu'il est dans un sale état.
— Et donc ?
— Et donc, je me disais que comme tu diriges les ressources humaines, et que les stagiaires sont, légalement en tout cas, des humains... cela pourrait t'intéresser.
— M'intéresser pour quoi ? Avez-vous prévu de le recruter ?
— Pas que je sache.
— Alors !
— Alors quoi ?
— Alors pourquoi l'économiser, Théophane?
— Primo, pour qu'il survive, secundo, pour qu’il véhicule une image positive du cabinet à l’issue de son stage.
— Avec nos résultats, elle est suffisamment positive comme ça, merci bien. Il ne lui reste que trois semaines de toute façon.
— Donc ?
— Donc vous pouvez encore le staffer !
— Ok Julie. Merci pour tes conseils.
— N’oublie pas de refermer la porte derrière toi.
— Ce serait sympa de se faire un déj’ bientôt.
— Oui, Oui.
— Bonne journée.
— La porte, merde !
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Week-end de la Toussaint : chasse à courre chez Elizabeth

3/11/2015

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​J’ai, chose curieuse, passé le week-end de la Toussaint chez les parents d’Elizabeth. La proximité des bois sombres, cette famille qui n’était pas la mienne, le rappel magnifié de la mort, tout cela promettait quelque apaisement. Hélas, il faisait beau.
 
Nous chassâmes à courre le samedi. Les chevaux, les belles tuniques, les cris des chiens, l’écho des trompes, l’esthétisme de cette activité du temps passé aide à supporter la laideur du temps présent. Il y a du bal costumé là-dedans : on s’habille comme il y a deux siècles, on se déplace à cheval, on se parle dans un français correct, l’usage du téléphone portable y est proscrit, on respecte les vieux et on comprend la nature, personne n’y croit mais c’est divertissant.  
 
Il y avait une fille, magnifique quoique trop mince, à table : Joséphine, la petite cousine d’Elizabeth. Je la trouvai belle mais ne lui parlai pas. Ivres de fatigue, de pâtés, de fromages et de vins, nous sommes allés au lit peu après le dîner.
 
Nous baisâmes sans conviction, par amitié plus que par désir. Elizabeth est sympathique et jolie mais je suis incapable de l’aimer. Cela m’attriste. Est-ce son âge ? Nous avons exactement le même pourtant. Mais ses petites pattes d’oie au coin des yeux, minuscules sillons de la charrue du temps, m’angoissent. J’aime ses sourires et ses griffures de chat. Mais je ne l’aime pas assez pour supporter de la voir vieillir. C’est une grande responsabilité que d’aimer un corps qui bientôt ne pourra plus donner la vie et ne fera que s’affaisser avant de pourrir définitivement.
 
Sur la tombe des grands-parents d’Elizabeth, je pensai à ma mère, emportée par un cancer l’année dernière. Directrice financière de Sanofi, elle était parvenue à plus ou moins nous élever en passant des nuits entières devant son ordinateur. J’aurais dû lui en savoir gré mais je n’avais jamais été très proche d’elle.
 
C’était je jour des morts. Mon père était seul. Cela aurait été sympathique de passer le week-end avec lui mais je ne suis pas ce qu’on appelle couramment « quelqu’un de sympathique ».  
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Esther, mon setter irlandais

14/9/2015

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Diane m’avait invité en Provence, Elizabeth voulait voyager, mes parents auraient aimé que je leur rende visite, mais je n’eus pas le courage de partir en vacances.

« Les gens s'étonnent toujours que vous ne quittiez pas Paris l'été, sans comprendre que c'est précisément parce qu'ils le quittent que vous y restez » écrivait Montherlant. Il y a du vrai : Paris est une merde inversée. C’est l’hiver qu’elle pue et grouille le plus. L’été, on peut survivre : on reste dans la déjection, mais c’est respirable. Et, si l’on veut bien se soumettre au racket socialiste, on peut même s’y garer.

Les touristes japonais et leurs perches à selfie galopent dans l’été parisien. On dirait de petites licornes à dents de travers. Qui eût crû qu’un jour l’autoportrait l’emporterait sur le paysage, même en voyage ? Etrange pratique que de visiter un pays pour se souvenir de soi.

Début août, je suis tombé sur un jouet prénommé Esther.

Esther est irlandaise et entame une année sabbatique à Paris afin d’y apprendre la langue de Molière. Nous nous sommes croisés dans le Marais. Plus exactement, nous nous sommes croisés sur happn  alors que nous étions tous deux dans le Marais (si vous êtes un ignare englué dans le XXème siècle, allez sur https://www.happn.com/fr/ pour comprendre cette phrase). A croire que seuls les vieux, les pauvres et les laids se croisent encore réellement.

Si Esther a certainement imaginé que coucher avec le premier venu était le meilleur moyen pour se faire des amis dans une ville inconnue, qu’elle ne compte pas sur moi pour lui présenter les miens. J’en ai peu. J’aime d’ailleurs de moins en moins la plupart d’entre eux. Je garde jalousement les derniers et, quoi qu’il en soit, ne mélange jamais les genres.

Les Irlandais n’ont jamais été très raffinés, surtout leur middle-class. Cela se ressent au lit : forniquer avec Esther est agréable mais un peu brouillon. On dirait un jeune setter qui a du nez et du souffle mais ne sait pas encore se mettre à l’arrêt. Son côté maladroit m’amuse autant qu’il me fatigue.

Quand, après avoir joué tout l’après-midi, il m’est impossible d’encore bander, nous partons nous promener. J’invente pour elle l’histoire des immeubles et des hommes : un archevêque libertin par-ci, la tombe d’un preux chevalier par-là, une ancienne chapelle rasée, la chambre de travail d’un révolutionnaire, la fenêtre d’un pamphlétaire, une cave de la milice, je lui raconte n’importe quoi et elle gobe tout, ravie.

Esther ne m’aime pas personnellement. Comme tous ces étrangers pour qui vivre à Paris est, en soi, un acte romantique, elle aime en moi le parisien. Malgré mon costume de banquier, je suis à ses yeux un dandy philosophe, un aristocrate lettré, peut-être même un peintre bohème, en tout cas, un buveur impénitent à la culture raffinée et aux mœurs légères. Seul mon amour de la boisson est véridique mais elle m’imagine romantique — et pense que les pratiques sexuelles auxquelles je la contrains le sont également.

Après l’amour, Esther a parfois des regards insoutenables, comme si le sexe l’avait écartelée et qu’on pouvait enfin plonger dans son âme. Une chose est certaine : elle n’est pas ici pour découvrir un pays mais pour se fuir en fuyant le sien.

Je crois qu’Esther est une fille profondément triste, et  comment ne pas l’être quand on est Irlandaise ? Trop de domination anglaise, de guerres, de pluie, de lumière et d’embruns, trop de whiskey et d’herbe grasse, trop de misère, trop d’Eglise hier et trop peu aujourd’hui, l’Irlande a trop souffert pour que ses habitants soient heureux. Où sont les libérateurs et les révolutionnaires ? Après le joug anglais, la famine, l’émigration, l’indépendance, la guerre civile, l’Irlande a crû renaître en faisant des bulles, des bulles internet, des bulles financières, dix ans de croissance folle, mais 2008 arriva, et ce fut la crise. Le tigre celtique a fini en tapis. Qu’est ce que l’Irlande aujourd’hui ? Une île même pas entière, un paradis fiscal, un pays qui se redresse péniblement, un peuple entier qui vend son âme pour du pognon.

Tout cela, je l’ai lu sur les fesses laiteuses d’Esther, rougies par mes fessées.

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Diane, lectrice post-coïtale

30/8/2015

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Lorsque Diane a suffisamment joui à son goût, elle me précipite dans le même état, puis, encore transpirante et essoufflée, sans un baiser, sans une caresse, reprend son roman, et sort du monde. 
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J'avance sur un grand parking de supermarché

13/8/2015

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Je n’ai jamais véritablement attendu quelque chose de la vie. Certains ont des ambitions, des envies : se marier, pratiquer un sport, « s’éclater dans son job », faire des enfants ou de la politique. A aucun moment, un quelconque désir s'approchant de cet état ne m'a traversé. L'argent et le sexe rendent mon ennui plus doux sans pour autant l'estomper. J'ai l'impression d'avancer sur un grand parking de supermarché. Qu’il soit vide ou plein ne change rien. Ce qu’y font les gens n’a aucun intérêt. Ils chargent leurs provisions, la pitance surgelée, l’écran tactile pour le petit. Je n'arrive même pas à leur en vouloir. Il faut bien se nourrir, se détendre — comme les animaux, la beauté en moins. D’autres emportent la mangeaille plus loin : ils partent en week-end. Oui, il subsiste une envie de partir.  Cela nous rapproche, je crois. C'est d'ailleurs la dernière chose partagée qui me relie encore à leur humanité.  
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Diane, mon maître

3/8/2015

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Diane est de ces femmes que les hommes appellent croqueuses d’hommes ou traînées, selon l’éducation reçue, et qui se considèrent quant à elles modernes ou libres, ou les deux.

Qu'il est étrange d’avoir une femme qui s'abandonne et s'oublie sous votre poids, se love dans vos bras lorsqu'elle est repue ou triste, lit Aragon la tête appuyée sur votre ventre, vous harcèle de questions sur votre enfance, vous parle de ses amies, de ses doutes, de sa mère malade, et qui néanmoins sera avec un autre le soir même.

Amant cherché et délaissé, ne sachant jamais si je l’ennuie ou lui plais, si elle cherche ma conversation ou mes caresses, je me soumets cependant chaque fois. Diane débarque irrégulièrement chez moi, mais toujours sans prévenir. Lorsque je suis accompagné, elle essaie de corrompre mon amie en lui offrant son saphisme ou, plus simplement, s’installe dans le canapé avec un roman et nous dit d'un ton sec « faites comme si je n’étais pas là ! ».

Le plus souvent mes compagnes fuient à l’arrivée de la lionne comprenant qu’il ne fait pas bon être gazelle en son royaume. 

Cette garce a le toupet de chasser mes amoureuses, et j’ai l'indécence d’en rire.  

Diane à l'arc d'or, Diane de Poitiers, j’en viens croire qu’un prénom détermine d’une vie et qu'elle ne saurait être autre que chasseresse et séductrice.  Sûre de son pouvoir, elle a, de ses origines mythologiques, seulement délaissé son inviolable chasteté.

Parfois j’admire sa liberté, son assurance, son indifférence à toute convention sociale ou sexuelle ; parfois elle me dégoûte. Alors toute la bouillie occidentale inconsciemment tapie dans mes veines remonte d’un coup : une femme n’est pas un homme, une femme ne se donne pas sans quelque sentiment, se faire pénétrer n’est pas la même chose que pénétrer, et je lui crie : tu n’es qu’une pute, une salope, une putain de nympho. Qu’est ce qui ne va pas chez toi ?

— Tout va bien, répond-elle calmement, sauf quand tu m’ennuies comme maintenant.
— Ce n’est pas assez bien ? Tu ne jouis pas assez ?
— Oh si mon chat, tu sais bien, j’adore ça avec toi. Dans l’escalier, je mouillais déjà.
— Mais alors quoi ? Tu me trouves trop con pour toi ?
— Pour le coup, tu risques de m’assécher définitivement si tu continues de faire ta midinette. Et je ne reviendrai plus.
— Mais bordel, Diane, quel est ce besoin de coucher avec tout Paris. N’as tu donc jamais eu envie de te poser ?
— Pour ta gouverne, je ne suis pas un objet décoratif mais un oiseau : je ne me pose pas ! Et on me pose encore moins. Petit bourgeois possessif !
— Même les oiseaux se posent.
— Pas les fous, mon chat or moi je suis une folle, une folle de Bassan plus exactement, si tant est que ça existe, hi hi ! je vole, je fonce, je plonge, mais ne me pose guère à terre que pour me reproduire !
— Mais ces hommes, tous ces hommes qui te prennent, te lèchent, ces hommes que tu suces. Que pensent-ils de toi ?
— Ce que tu peux être vulgaire ! Primo, je ne les suce pas tous. Secundo, si tu savais comme je me fous de ce qu’ils pensent !
— Eh bien, je vais te le dire. Ils pensent que tu es une fille facile, une petite salope qu’on prend quand on veut !
— C’est là où tu te trompes mon mignon, et s'ils pensaient cela, ce dont je doute, ils se tromperaient eux aussi. : c’est quand je veux, où je veux, et comme je veux ! 
— J’ai honte de penser ainsi Diane, je sais bien qu'un coureur ne fait pas un Don Juan, pas plus qu’une coureuse une pute, mais…
— Mais quoi ?
— Tout de même… est-ce vraiment la même chose ? L’homme est plus fort, il entre en toi, c’est lui qui domine, non ?
— Seulement parce que nous le souhaitons, pauvre chat. On vous fait croire depuis des millénaires que vous êtes les chefs pour que vous ne soyez pas trop tristes et que votre puissance physique ne soit pas vaine, mais nous avons toujours régné. Nous sommes le donjon, et le trésor caché. Il n'y a qu'à constater tout ce que vous êtes prêts à faire pour tenter d’entrer à l’intérieur ! Or nous seules décidons quand lever la herse. Et quand nous ne voulons pas, il ne vous reste qu’à errer dans la plaine, une lance inutile à la main,  misérables chevaliers.
— Les hommes peuvent prendre par violence.
— Oui, il est des murailles qui tombent par la force. Cela s’appelle du viol. Mais alors, quelle victoire pour celui qui voulait être accueilli en conquérant ou en sauveur, recevoir baisers et caresses, et qui ne voit dans les larmes de ces femmes terrorisées que leur reflet de brute épaisse !
— Ton analogie belliqueuse est intéressante mais elle me semble incompatible avec nos origines. Dans la nature, le mâle domine. Il a d’ailleurs souvent plusieurs femelles pour lui seul.
— Dans la nature le mâle viole peu car la femelle se donne à lui quand vient le temps de procréer.  Et si plusieurs femelles se donnent au même c’est qu’elles préfèrent partager le roi que s’accoupler avec ses sous-fifres !
— Nous ne déciderions donc de rien ?  
— De rien. Toujours la femme choisit, jeune padawan.
— Merci pour la leçon, maître.
— A présent, sors ton sabre que je t’apprenne à contrôler la force qui est en toi. Et si tu es sage, je t’emmènerai peut-être du côté de l’étoile noire !

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